Journal d’un isolement
Se confiner : S’enfermer, être enfermé dans un lieu (Larousse). Cette 8ème semaine de confinement confirme que l’Homme s’adapte à tout. Entre télé-travail, école à la maison et vie de famille, on gère désormais notre rythme parfaitement. À tel point que l’échéance du lundi 11 mai ne changera pas grand chose pour nous. On reste sur ce modèle jusqu’à nouvel ordre.
Jour 49
Lundi 4 mai
La météo est estivale. C’est pourtant la reprise de l’école à la maison. Violette décide de réaliser tout son travail dans la matinée pour être tranquille ensuite. J’ai du travail, je la laisse en autonomie. Un mail de la maîtresse le soir nous précise que pour cette fois le vite-fait n’était pas bien fait. Elle a joué, elle a perdu…
Du côté de Joseph, c’est plus calme. Une classe virtuelle est programmée pour mercredi matin. Je le prépare psychologiquement en lui demandant de mettre ses cours au propre et de les classer. Comme d’habitude, il me répond « ok ». C’est un ado qui ne refuse jamais rien, qui ne s’oppose pas. Cela viendra peut-être un jour. En attendant, je savoure.
La tristitude
Côté travail, je m’active avec la reprise imminente. Pourtant, je me sens aussi seule qu’au début du confinement. Mes interlocuteurs ne répondent pas au téléphone, ni aux mails… Au début de l’isolement, ils n’avaient pas la tête au travail. J’imagine aujourd’hui qu’ils s’affairent à la reprise de leur activité. Je développe alors des talents d’humoriste, psychologue, conseillère en communication pour attirer leur attention sans les déranger. Je me sens quand même un peu seule et triste. Puis je souris en pensant à la chanson La tristitude de Oldelaf.
Bilan du jour
Travail : allez !
École : échec de la reprise en autonomie.
Cuisine : Focaccia au chorizo, salade de crudités.
Bricolage : tricot du pull de Violette le soir devant un film avec les enfants, La grande Muraille avec Matt Damon. Un film d’aventures historique et fantastique qui me fait sursauter à chaque attaque de monstres. Réaction qui agace prodigieusement mon fils. J’apprends à sursauter intérieurement.
Jour 50
Mardi 5 mai
Lors de la balade matinale, nous ne rencontrons pas âmes qui vivent avec le poilu dans la forêt. Aucun chien ou jogger ne croisent notre route et c’est la première fois depuis le début du confinement. Les gens s’essoufflent ? Ont repris le travail ? On ne se tracasse pas trop avec cette analyse sociologique et profitons du calme des grands espaces. De la beauté des nouvelles fougères qui verdissent les sous-bois. Du chant des oiseaux de plus en plus présents au fil des semaines de confinement. La nature aura repris quelques droits. C’est déjà ça.
L’été mais sans la plage
La journée s’organise entre les devoirs, mon travail, la restauration de tout mon petit monde. Le tout sous une chaleur digne du mois de juillet. On ressort les vêtements d’été, les tongs. Mais sans pouvoir aller à la plage… Et sans la perspective de bientôt y retourner puisque le gouvernement n’a pas autorisé leur réouverture le 11 mai à la fin du confinement. Des politiques se mobilisent pour la possibilité d’une plage dynamique. J’écris un article à ce sujet afin de préciser les enjeux loin d’être superficiels. Et je croise les doigts pour que l’amendement passe.
Sortie de confinement
À défaut de pouvoir aller à la plage, je fais deux pauses de ménagère dans ma journée de boulot. Un ravitaillement au supermarché pour tous les produits que je ne trouve pas chez les petits commerçants. Et une sortie aux containers de tri avec Yuri ! Interdits d’accès depuis le début du confinement, ils ont été remplacés par notre cabane de jardin. Qui déborde au bout de 7 semaines !
Suite à leur réouverture hier, nous nous motivons avec mon fils pour cette sortie palpitante. Avant de partir, nous hésitons à choisir le motif de sortie sur notre attestation… Ce n’est pas un déplacement pro, ni pour effectuer des achats de première nécessité. Il ne s’agit pas non plus de soins ou de motif familial. On hésite à prendre le chien pour pouvoir cocher la case déplacements brefs pour les poilus. Mais la voiture est pleine, il ne rentre pas dedans. Ce casse-tête superficiel et ubuesque me fait penser à Ubu roi d’Alfred Jarry. Je le note sur ma liste de relecture.
Bilan du jour
Boulot : la tristitude.
École : vite-fait et bien fait !
Recyclage : presque ! Marque de l’alcoolisme de la population, les containers de verre étaient plein. Signe du rangement des placards pendant le confinement, idem pour les bacs de vêtement. Nous rentrons donc avec notre verre et sacs de vêtements…
Cuisine : riz au safran et œufs, mi-espagnol, mi-marocain, les enfants adorent.
La bonne nouvelle : à défaut de reprendre l’école le 12 mai, Violette pourrait reprendre les cours d’équitation la semaine prochaine.
Jour 51
Mercredi 6 mai
La journée démarre par un événement inhabituel. Tôt ce matin, je bois mon café en compagnie de Joseph, levé pour sa classe virtuelle. Notre tête-à-tête garde sa nature silencieuse habituelle : il n’est pas un bavard et encore moins avant 8h !
Quand je lui demande en fin de matinée si tout s’est bien passé, il m’informe que la classe virtuelle n’était pas à 8h30 mais 9h30. Son décalage horaire me fait sourire. Depuis toujours, il vit décalé. In utero, le corps médical s’inquiétait de son poids et sa taille. Finalement, il n’a jamais utilisé la couveuse : il pesait 3,6 kg et mesurait 51 cm. Les médecins et sage-femmes n’ont rien compris… Il a marché tard – selon les normes – et sans passer par le stade 4 pattes. Il a parlé tard mais directement avec sujet, verbe et compléments. J’en ai cassé un verre en entendant sa première phrase.
Une différence qui fait toute la différence
Depuis, il parle peu mais jamais pour ne rien dire. Il est lunaire donc rarement sur la même planète que nous. En primaire, certains enseignants se sont inquiétés de ses apprentissages. Au collège, ils m’ont demandé de lui faire passer des tests et souhaitaient lui faire sauter une classe. Souvent dans des livres et passionné d’histoire, il a paradoxalement choisi la filière pro en section cuisine.
Très matures, ses réflexions psychologiques, politiques, économiques me font écarquiller les yeux depuis toujours. Déconnecté de la vie réelle qu’il juge superficielle, ses aptitudes logistiques et temporelles ont parfois le don de m’agacer. Si j’ai été inquiète ou dépassée, j’ai appris à le connaître et apprécier sa différence. J’essaye de l’aider à développer les interactions sociales nécessaires. Tout en l’armant pour ne pas souffrir des jugements quant à son décalage.
Quand les enfants nous élèvent
À la naissance de Violette, nous avions rencontré un super pédiatre qui avait sur sa carte de visite cette citation de Janusz Korczak, médecin-pédiatre, éducateur, pédagogue et écrivain polonais du début du XXème siècle.
C’est épuisant de s’occuper des enfants.
Janusz Korczak – Quand je redeviendrai petit
Vous avez raison.
Parce que nous devons nous mettre à leur niveau. Nous baisser, nous pencher, nous courber, nous rapetisser.
Là, vous vous trompez. Ce n’est pas tant cela qui fatigue le plus, que le fait d’être obligé de nous élever jusqu’à la hauteur de leurs sentiments.
De nous élever, nous étirer, nous mettre sur la pointe des pieds, nous tendre.
Pour ne pas les blesser. «
C’est exactement ce que Joseph m’a appris à faire. Moi et mon fort caractère, pleine de certitudes, de raccourcis. Il m’a ouvert des fenêtres, appris à percevoir autrement des évidences , développé ma patience, mon écoute. Comme je ne suis pas parfaite, cela serait prétentieux de dire qu’il m’a rendue meilleure. Toutefois, je pense que je peux dire qu’il m’a rendue vraiment moins con.
Bilan du jour
Boulot : des gens me répondent aux mails, m’appellent… Proche de l’orgasme professionnel !
Bricolage : clôture très approximative pour freiner le longues oreilles dans sa dégustation de notre framboisier bien entamé… Chez nous, on ne clôture pas les animaux mais les végétaux. Recyclage du marche-pied des enfants pour qu’il puisse atteindre les branches du prunier.
Désespoir : ma balance de cuisine a rendu l’âme.
Cuisine : gâteau au yaourt à la vanille, idéal pour utiliser un laitage périmé et faire de la pâtisserie sans balance.
Bonheur du jour : cueillir un bouquet de pissenlits et trèfles pour le longues oreilles pendant la balade du poilu. Il a pris l’habitude et vient à notre rencontre dès notre retour.
Jour 52
Jeudi 7 mai
L’activité professionnelle semble reprendre son cours. Enfin. Et malgré le confinement. Des projets se réactivent. Avec l’incertitude de la continuité et les difficultés financières. Sans paraître légère, je prends en compte ses paramètres mais essayent de rester positive.
Je fais une pause à 11h pour me connecter en visio à une réunion d’informations organisé par le directeur d’école à propos de la reprise éventuelle. Non le 11 mai comme le claironne le gouvernement mais plutôt le 14 suite aux difficultés de mise en place par l’établissement et la mairie. En recevant 60 pages de consignes dimanche dernier, soit le 3 mai, il semblait impossible de les appliquer en une semaine…
Touche pas à mon stylo
Le directeur nous explique le mode d’organisation envisagée : l’accueil des enfants en temps scolaire seulement le matin pour laisser les enseignants poursuivre l’enseignement distanciel avec les élèves restés à la maison. Avec les effectifs réduits imposés par les mesures sanitaires et selon le nombre d’enfants à accueillir, un accueil périscolaire sera éventuellement mis en place parallèlement à ces temps scolaires. Le midi et l’après-midi sera assuré par l’équipe d’animation de la mairie.
Les enfants seront donc en petit groupe avec leur matériel d’école, leur couverts, leur verre. Ils ne pourront pas se toucher, jouer au ballon, échanger des jeux ou du matériel. Les groupes mangeront ou iront en récré à tour de rôle. Une expérience qui me semble plus traumatisante qu’autre chose pour les enfants. Des mesures sanitaires extrêmes qui me font réaliser que le risque d’épidémie reste bien présent. Et font de cette réintégration un danger pour les élèves et le personnel enseignant ou communal. Dans ces conditions et comme je peux poursuivre le télé-travail, je décide de ne pas renvoyer Violette à l’école.
Maître es école à la maison
Nous allons donc poursuivre ces journées en famille, entre enseignement, loisirs, cuisine et boulot. Je commence à trouver un équilibre entre pression, humour et discussion pour faire travailler les enfants sans leur hurler dessus. Jusque là, tout va bien ! On expérimente ainsi ce qui m’a parfois traversé l’esprit : l’école à la maison.
Je n’ai rien contre les enseignants, bien au contraire. Je suis plus dubitative à propos du système scolaire français… Et de la place de l’enfant dans ce système. Très clairement, les programmes, les emplois du temps, l’enseignement pédagogique prodigué aux apprentis enseignants n’intègrent pas les doctrines de Janusz Korczak. Contrairement à certains pays comme la Suède ou le Danemark. C’est dommage car l’école représente une part importante dans l’éducation de ces futurs adultes à se considérer et vivre ensemble… En attendant, je m’y colle. Et je pense très sérieusement à ajouter enseignement primaire et secondaire dans mes expériences professionnelles sur mon CV. Ainsi que confinement quand mes aptitudes.
Bilan de jour
Boulot : premier jour vraiment concret depuis 8 semaines.
Bricolage : tricot du pull de Violette.
Lecture en cours : la réédition de Mermere de Hugo Verlomme, éditions Actu SF.
Cure : la forêt comme toujours au quotidien. J’ai lu dans l’éphéméride Flow du jour que « les arbres, en particulier les conifères, excrètent dans l’air des molécules appelées phytoncides qui ont un impact positif sur notre santé, notamment sur le système immunitaire ». Excellente nouvelle sachant que nous sommes en cure avec le poilu depuis plusieurs années. Si vous n’avez pas notre chance, achetez un sapin !
Déconfinement : entre télétravail et école à la maison, nous allons rester confinés en fait !
Perspective : aller marcher à la plage. Le gouvernement maintient l’interdiction mais laisse la liberté aux maires de demander l’autorisation aux préfets. À suivre !

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