Depuis quelques semaines je suis sans voix. Le 25 juillet, j’ai pris un mauvais coup. Violent et par surprise. J’ai réussi à me relever mais j’en ai perdu la voix. Les seuls mots qui sortent de ma bouche se bornent à l’essentiel. Le chagrin, la peur, l’inquiétude ont pris toute la place. Ils me tiennent éveillée, m’empêchent de trouver le sommeil. Ils dominent tout. Ils ont balayé la raison, le plaisir, la joie. Ont coupé toute envie de sourire, rire, lire, écrire, dessiner, broder, cuisiner.
J’avais déjà connu autrefois quelques déconvenues. Mais jamais de drame. Les chagrins et inquiétudes du passé sont devenus futiles voire déplacés. La joie de vivre qui m’a toujours permis de m’en sortir m’apparait dérisoire. Insuffisante.
Pourtant, la vie doit continuer. Pour les enfants, pour ceux qui n’auraient jamais dû vivre ce drame, j’ai combattu cette boule dans la gorge. Ce poids qui écrase mon cœur. Tous les jours, j’ai pensé à bomber le torse pour prendre une grande inspiration. Et respirer. Chaque jour, je me suis efforcée de me concentrer sur les joies simples de la vie. Les identifier et oser en profiter. Un mot, un sourire des amis et de la famille. La vue apaisante de l’ancienne chapelle jouxtant l’hôpital. Les promenades quotidiennes du poilu en forêt coûte que coûte. Pour tenir le coup. Reprendre une vie qui ne sera plus jamais la même.

Il faut aimer plus et vraiment. Retrouver la saveur. Réapprendre à goûter le plaisir. Sans jamais oublier. Que la vie est partie en un instant, sans prévenir. Que le vide qu’elle laisse est béant. Qu’il faudra apprendre à marcher à côté sans tomber dedans. Rester vigilante pour que le chagrin ne bouscule pas ce fragile équilibre. Et ne pas laisser la peur tracer le mauvais chemin.
Depuis quelques jours, je reparle dans un micro. Et aujourd’hui, j’écris ces quelques lignes. Je quitte peu à peu l’armure que j’ai enfilée le 25 juillet. Pas encore par envie, plus par nécessité. Pour toi, parti trop tôt et pour ceux qui restent. Parce qu’ils méritent que je ne vive pas qu’à moitié.
Je me sens encore aphone. Je ne vibre plus. Effrayée par le monde extérieur. Sa violence, sa vacuité. Assommée par la perte de mon insouciance. Pourtant, je fais un pas. J’avance au bord du vide. Guidée par ta lumière. Aidée par mes enfants, ma famille, mes amis. En gardant ce lien si précieux avec la nature qui m’apaise. Afin de ressentir l’envie. Retrouver le plaisir de l’existence et accepter parfois sa frivolité.
Hier matin, je me suis émerveillée du soleil perçant dans la forêt brumeuse. Le soir, j’ai lu quelques pages. Je reprends goût au plaisir de cuisiner. Aujourd’hui, j’écris. Je retrouve des mots, des sensations. Je refais mes premiers pas dans le monde, vers la vie.
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