Dans la forêt, de Jean Hegland

Roman bouleversant des éditions Gallmeister

Dans la forêt… Il existe des livres qui vous interpellent si bien que vous avez hâte de les retrouver le soir après votre journée de travail. Des romans dont vous dévorez les 250 premières pages en quelques heures puis faites durer le plaisir des 50 dernières sur plusieurs soirées… Dans la forêt, de Jean Hegland, fait indéniablement partie de ceux là.

Dans la forêt, roman de Jean Hegland paru aux editions GallmeisterJ’avais envie de le lire car je fonce toujours les yeux fermés pour une publication des éditions Gallmeister. Et j’étais intriguée car le roman de l’américaine publié dans son pays en 1996 n’avait jamais connu d’édition française. J’en ai déduit que si Gallmeister nous propose sa traduction 20 ans après, c’est que le texte promettait d’être une belle découverte. Et c’est plus que le cas.

Dans la forêt est classé dans la collection Nature writing de l’éditeur car la nature tient lieu de personnage central dans cette fiction qui pourrait aussi être sommairement classée dans le genre roman d’anticipation. Je m’explique. L’amérique est en pleine apocalypse sur fond de crise énergétique, épidémies, catastrophe naturelle. L’auteur reste mystérieuse sur les causes et les détails de cette déroute car ce n’est pas le thème du roman. Le sujet du livre résulte des conséquences. Tout est fermé, les écoles, les banques, les commerces. Il n’y a plus d’électricité, Internet, ni d’essence. Et cette déroute nous est conté par la voix de Nell, une jeune fille de 17 ans qui vit au cœur de la forêt avec sa sœur Eva âgée de 18 ans. La première devait connaître un brillant avenir intellectuel puisque pratiquement admise à Harvard. Sa sœur se dirigeait vers une carrière artistique de danseuse.

Survivre à la déchéance de l’humanité

Sauf que leur avenir change de route avec l’effondrement de la civilisation. Elles vivent dans la forêt depuis toujours car elevées par des parents bohèmes et à contre-courant de la société de consommation américaine. Elles ont été habituées à un mode de vie alternatif. D’ailleurs, toute cette partie me fait penser au récent film de Matt Roos sorti en 2016 Captain fantastic sur l’histoire d’un père qui souhaite élever ses enfants en dehors de tous contacts négatifs avec la civilisation. Bref, Nell et Eva sont habituées à vivre plus ou moins en autarcie au cœur de la nature. Pourtant lorsque la crise dure, que leur parents disparaissent, elles vont devoir se débrouiller seules. Pour survivre, pour s’adapter à ce bouleversement de destinée. Et même des êtres humains mieux préparés que le commun des mortels à la survie de l’humanité vont connaître la peur, le doute, la colère…

Roman initiatique et manuel de survie

Je ne vous en dis pas plus, ce serait gâter le plaisir de lecture de ce roman magnifique. A la fois roman initiatique et manuel de curiosités naturelles, mais aussi revisite du mythe de robinson ou de l’enfant sauvage. Cette fiction passionnante est le journal intime d’un jeune fille de 17 ans déboussolée  – comme souvent – par le passage à l’âge adulte mais aussi les conséquences de l’effondrement de la civilisation (c’est moins courant). Dans la forêt est un manuel de survie. Adaptation au déclin , survie à nos chimères. Un guide profond vers l’essentiel, la communion avec la nature et les élements. Le tout porté par la voix d’une femme, ce qui reste rare en nature writing ou dans les romans d’anticipation. Cela confère à cette œuvre intense une espèce de sensualité et d’acceptation à l’horreur, à la dureté, à la résiliation.

La forêt : personnage central

L’écriture n’y est pas pour rien dans cette plongée littéraire. Beaucoup d’humilité et de sobriété dans le style qui respire l’authenticité. C’est un journal de bord d’une jeune fille teintée de son innocence. Elle nous livre son ressenti sur un ton à la fois personnel et encyclopédique, un récit ambivalent touchant de naïveté et de maturité. Surtout, au-delà de l’écriture sans faux-semblants et des personnages très attachants, ce roman classé dans la collection Nature Writing fait de la forêt un personnage central. Nature omniprésente dans l’action, dans les descriptions, dans l’atmosphère. Nature hostile mais aussi bien bienveillante. Quand on lit le roman, on sent la terre, on sent l’humidité, on sent la forêt. Une vraie bouffée d’air frais, naturelle et humaine. Un roman fabuleux !

Merci aux éditions Gallmeister d’avoir eu la bonne idée d’importer ce texte en France sorti aux Etats-Unis en 1996. Jean Hegland a publié d’autres titres dans son pays depuis. J’espère que l’ éditeur français poursuivra la traduction des œuvres de l’auteure américaine. Une écrivaine à suivre !

Adapté au cinéma

Le livre a été adapté au cinéma avec Ellen Page et Evan Rachel Wood dans les rôles principaux. Sorti en juillet 2016 aux Etats-Unis, il devrait arriver en France prochainement. S’il est évident que le roman représente une excellente base pour un scénario, je ne suis pas convaincue par cette transposition. Qui ressemble à une production américaine (mais pas dans le bon sens du terme…). En regardant la bande-annonce, on découvre une maison d’architecte ultra moderne et une atmosphère de thriller. A l’opposé de mon ressenti à la lecture du roman…

Dans le forêt, Jean Hegland, Editions Gallmeister, 304 pages, 23,50 €.

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Aquarium, de David Vann : roman singulièrement brillant

La lumière au bout de l’aquarium

Aquarium, le cinquième roman de David Vann détonne dans l’œuvre de l’auteur américain par sa luminosité. Une merveilleuse LECTURE !

J’ai lu tous les romans de David Vann. Et à chaque fois, la publication d’un nouveau me procure toujours un mélange d’excitation de lecture et de crainte d’être déçu par un auteur que je vénère. Ouf, ce n’est toujours pas le cas avec Aquarium, son cinquième titre traduit en France.

 

Aquarium, c’est l’histoire de Caitlin, 12 ans, qui vit avec sa mère dans une banlieue de Seattle. Cette mère célibataire fait comme elle peut pour joindre les deux bouts et concilier travail, maternité et parfois vie de femme. Elle travaille tard et sa fille l’attend tous les soirs à l’aquarium où elle passe des heures pour assouvir sa passion pour le monde marin et les poissons. Le roman contient d’ailleurs des illustrations de poissons et autres espèces marines. Des dessins de l’auteur lui-même j’imagine, je n’ai trouvé aucun crédit.

 

Elle y rencontre un jour un vieil homme. Et d’échanges aquariophiles en échanges philosophiques au quotidien, une amitié nait entre eux. Tout va bien dans leur modeste existence jusqu’au jour où… Comme tous les romans de l’américain David Vann, Aquarium fonctionne avec une bonne dose de suspense. Je vais donc arrêter là le déroulé de l’histoire !

 

Peinture des gens ordinaires

Mais parler du dernier roman de david vann en le cantonnant à Seattle et ses pluies incessantes, à la vie difficile de cette mère et de sa fille ou à ce vieillard baignant dans la solitude, ça ferait de ce roman, une peinture un peu glauque de petites gens. Et Aquarium, c’est tout sauf ça !

 

David Vann se révèle une fois encore une fois un incroyable peintre des gens ordinaires. Caitlin et sa mère sont seules à se débrouiller, sans argent. Pourtant, leur relation et leurs personnages rayonnent. La mère d’abord : David Vann nous dépeint une femme qui fait ce qui peut mais qui peut beaucoup. Elle pourrait apparaitre froide dans ces méthodes éducatives mais des scènes de leur vie nous démontrent subtilement son affection, une intimité, une proximité qui permet à sa fille de grandir en toute confiance.

 

La fille ensuite. Caitlin, 12 ans. Sans cercle d’amis. Et qui ne parle jamais de son apparence ou de celle des autres. Une pré ado pas comme les autres qui se passionne pour les poissons et les océans. Une gamine différente donc mais tellement passionnante. D’abord, elle n’a pas l’air de souffrir de sa différence. Surtout, elle puise dans sa passion toutes les ressources pour supporter les méandres et difficultés de l’existence. Exactement ce qu’ils manquent à tant de personnes…

 

David Vann dépeint leur existence à priori médiocre d’une manière si subtile que l’on y décèle les petites perles qui ne résument pas ces personnages à ce qu’ils semblent être. Sans jamais nous le dire, David Vann nous raconte l’histoire ordinaire d’êtres extraordinaires ! Y compris dans leurs incohérences, leurs faiblesses, leur humanité.

 

David Vann trouve la lumière

La finesse psychologique de l’auteur, c’est aussi sa capacité à se mettre dans la tête d’une gamine de 12 ans. Car c’est rarement réussi en littérature : faire parler une pré ado sonne souvent faux ou se révèle parfois pénible à la lecture.

 

David Vann ne tombe pas dans cet écueil et l’éclairage qu’il apporte est incroyable. Quand la mère apprend la relation entre sa fille et le vieil homme, elle perd son sang froid. L’écrivain décrit l’interprétation et les angoisses de la petite fille face à ses crises, un juste ressenti. Bref dans le dernier roman de David Vann, Aquarium, on n’apprend à voir le beau quand il n’est pas immédiatement décelable et on redécouvre le concept de singularité de l’être humain.

 

Enfin, ces tranches de vie critiques et ses faiblesses humaines, David Vann les transforme en conte de fées. Pour la première fois depuis que je lis ses romans, j’ai ressenti une vaste lumière. Aquarium est son 5ème roman traduit en Français et c’est le plus optimiste. Dans son premier Sukkwan Island, Prix Médicis étranger 2010, la relation père-fils tournait au cauchemar sans une once d’espoir possible. Cette fatalité se retrouve aussi dans ses titres suivants comme Désolation ou Impur. Malgré leur noirceur, j’ai adoré ces romans : haletants du début à la fin, ils me procuraient une sorte d’apaisement. Mes propres névroses, incohérences semblaient si pâles face à ces anti-héros torturés ou bourreaux.

 

Si David Vann trouve la lumière à la noirceur de l’existence dans Aquarium, je n’en ai pas moins apprécié son livre. L’auteur admet avec cette histoire de famille que le passé peut ne pas être déterminant dans une existence. Que les blessures peuvent se guérir. Parfois. Peut-être le signe que l’américain a guéri les siennes ?

 

Un fabuleux roman écrit dans une langue brillante et simple à la fois. Que l’on doit aux Editions Gallmeister, éditeur découvreur de David Vann en France.

 

A NOTER : David Vann sera présent du 31 mars au 2 avril 2017 au festival Quai du Polar de Lyon.

Aquarium, David Vann, Collection Nature Writing, Editions Gallmeister, 280 pages, 23 €.