Fraude qui peut ! de Sébastien Girard

BD sur Bloom face aux industriels de la pêche électrique

Ma recommandation de lecture aujourd’hui s’adresse aux lecteurs de bandes dessinées. Ainsi qu’à tous ceux qui ne sont pas des adeptes du 9ème art mais concernés par la protection de l’environnement et à ce qu’ils mettent dans leur assiette. Il s’agit de Fraude qui peut !, une BD de Sébastien Girard, sortie le mois dernier chez Delachaux et Niestlé. Et sous-titrée : Bloom face aux industriels de la pêche électrique.

fraude qui peut bd sur bloom

Je suis le combat de l’association Bloom depuis de nombreuses années. Association fondée en 2005 par Claire Nouvian et qui œuvre pour la protection des écosystèmes marins. De mémoire, je m’intéresse à cette association depuis son combat contre la pêche en chalut et en eaux profondes. Bataille qu’ils ont remporté avec une interdiction de l’Union européenne.

Depuis, l’ONG poursuit un autre combat : celui de la pêche électrique. Bien que je sois attentive à ce dossier, je n’étais pas certaine de tout comprendre tant les lobbies sont experts dans l’art de contourner les lois… Et tant la législation est à la fois complexe et pas très claire. En découvrant cette bande dessinée en librairie, je me suis tout de suite dit que c’était une excellente occasion d’y voir plus clair. Et je n’ai pas été déçue !

L’histoire d’un combat pour le vivant

La pêche électrique est une méthode de pêche en chalut qui utilise de « gros filets » équipés d’électrodes. Le champ électrique généré fait décoller les poissons du fond marin pour les attraper avec le filet… Dans cet ouvrage, Sébastien Girard raconte en textes et en images le combat titanesque du pot de terre contre le pot de fer. À savoir le dossier de la pêche électrique défendu par cette petite ONG contre un puissant groupe d’industriels. À travers la voix du calamar cochonnet, symbole de Bloom. On comprend parfaitement comment ce combat est né au sein de l’association. ONG pourtant épuisée après des années de lutte au sujet du chalutage en eaux profondes.

La pêche électrique, une méthode de pêche très destructrice mais évidemment très efficace et rentable, est interdite par la loi. Mais les industriels de cette pêche se sont armés d’une armée de lobbyistes qui travaillent sans cesse à obtenir des dérogations à cette loi. La BD relate comment ces derniers mènent une intense activité au sein de la Commission européenne et auprès des politiques des pays concernés. Tel un reporter, Sébastien Girard expose, après avoir suivi l’équipe de Bloom, comment ces quelques personnes seulement, menée par Laetitia Bisiaux, chargée de projet sur la pêche électrique, font face à ces manœuvres pas toujours légales pour tenter de faire respecter la loi.

Le pot de terre contre le pot de fer car l’équipe de Bloom est évidement bien moins nombreuses que les armées de lobbyistes… Et que l’association dispose aussi de bien moindres moyens financiers que les industriels de la pêche. C’est vrai que derrière toutes les actions de communication de Bloom, toujours bien pensées et écrites, on pourrait penser que c’est une ONG gigantesque composée d’une centaine de personnes engagées à travers le monde. Et bien pas du tout… Et le livre a le mérite de resituer ce contexte aussi.

Violation de la loi en toute impunité

Fraude qui peut ! représente aussi une bande dessinée indispensable pour comprendre les rouages politico-industriels impitoyables en faveur du seul profit et au détriment de la vie marine. Malgré la complexité de ce dossier, l’auteur et dessinateur restitue parfaitement ce combat de manière pédagogique. Les dessins sont simples et parlants. Comme pour démontrer la multiplication des flottes de bateaux de pêche électriques largement supérieures à ce qu’autorise la loi. La bande dessinée est bavarde car les lois, les chiffres, les infos sont nombreuses. Mais l’auteur a su synthétiser l’essentiel pour rendre ce dossier digeste.

Surtout dans le texte comme dans le dessin, il ne manque pas d’humour pour traiter l’absurdité de la réalité : le contournement pur et simple de la loi, les manigances honteuses des industriels, les blocages et lenteurs de l’administration, des États ou de l’Union européenne. Les faits relatés démontrent que les hors la loi parviennent à leurs fins avec la complicité des Pays Bas et le mutisme de la Commission européenne. C’est vrai qu’il vaut mieux en rire que d’en pleurer ! Mais les raisons de pleurer sont nombreuses…

Un scénariste et dessinateur engagé

Raconter ce combat de Bloom en BD est une excellente idée. Cela permettra indéniablement de sensibiliser un public plus large à la protection de la vie sous-marine. Et de mettre en lumière l’action de cette formidable association Bloom tout comme les pratiques dégoutantes des industriels. Une BD qui éveille pour que nous puissions ensuite exercer notre pouvoir de citoyen en votant aux élections – y compris les européennes… Tout comme notre pouvoir de consommateur en vérifiant les méthodes de pêche des poissons sur l’étal. Afin de boycotter ces malheureuses victimes de la pêche électrique…

Enquêter, relayer des dysfonctionnements de notre société en roman graphique, c’est la pâte de Sébastien Girard. Il avait déjà signé Chronique d’un kidnapping aux Éditions Félès en 2021. Une BD sur l’enlèvement d’une petite fille à sa famille par le système judiciaire français. Avec ce livre réalisé après un an d’analyse des témoignages et des rapports, il tentait de comprendre comment un tel drame avait pû arriver. Dans ces 2 ouvrages, le scénariste et dessinateur ne prend pas parti. Il se contente d’exposer les faits. Et dans Fraude qui peut, ce sont bien ces données factuelles seules qui se révèlent à chargent contre les industriels, les Pays Bas et la Commission européenne…

Cette bande dessinée coûte 14,90 €. Et Sébastien Girard reverse tous les droits d’auteurs de ce livre au profit de l’association Bloom. Donc en l’achetant et le lisant, vous vous informez et soutenez le combat de Bloom ! Enfin, si vous avez envie de sensibiliser les plus jeunes, en mai cette année, est également sorti aux Éditions Thierry Magnier l’album Maman les petits bateaux, en partenariat avec Bloom. Un album jeunesse qui, partant de la célèbre comptine, dénonce la pêche industrielle. Vous trouverez évidemment ces 2 titres chez tous les bons libraires.

maman les petits bateaux album jeunesse bloom
Maman Les petits bateaux, de Pauline Kalioujny, Éd. Thierry Magnier – 14,50 €
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Fraude qui peut ! de Sébastien Girard, Éd. Delachaux et Niestlé – 14,90 €

Moon River de Fabcaro

Médicament & Bonbon

Attendu que l’époque est plus que morose. Attendu que le nouveau monde promis en mars 2020 pendant le premier confinement n’est jamais arrivé. Et attendu que j’ai comme l’impression que les gens sont encore plus stupides-égoïstes-agressifs qu’avant la pandémie, je me réfugie vers des valeurs sûres. Des œuvres salutaires comme la dernière bande dessinée de Fabcaro : Moon River, publié en septembre 2021 aux éditions Six Pieds Sous Terre.

Moon River de Fabcaro Chronique d'une BD drole et intelligente

Comme à son habitude, Fabcaro nous embarque dans son monde absurde riche en dérision. Après notre société de consommation contemporaine dans Zaï Zaï Zaï Zaï, les réunions de famille dans Formica, c’est le Hollywood des années 50 qui en prend pour son grade dans Moon River. Via une enquête policière – en atteste l’empreinte digitale sur la couverture. Il est question d’une actrice en vogue, Betty Pennyway, victime d’un crime abominable : pendant la nuit, quelqu’un s’est introduit chez elle pour lui dessiner une bite sur la joue ! On suit donc au fil des 80 pages la délicate enquête de l’inspecteur Hernie Baxter…

Absurdes fiction & réalité

Au cœur de cette enquête palpitante et hilarante dessinée de son trait esquisse axé uniquement sur les personnages en bichromie, on savoure aussi des pages en couleurs pour les scènes du western que sont en train de tourner les acteurs. Et comme à son habitude, à la fiction se mêlent des scènes de vie de l’auteur au moment où il réalise la BD. Telle l’incrédulité de son entourage quand ils découvrent les premières pages de la BD qui tourne autour d’une actrice des années 50 qui a une bite dessinée sur la joue. Mais aussi sa souffrance et les divers traitements de sa hernie, et là vous comprenez mieux le nom de l’inspecteur Hernie Baxter.

Fabcaro se moque gentiment des gens qui se prennent trop au sérieux ou qui manque de cohérence, de consistance. Ici l’industrie du cinéma, la presse people, le monde de la pub, les polars. Il ne manque pas de d’écorcher lui-même… Auteur-dessinateur, parfois en mal d’inspiration, victime d’une hernie discale et néorural se faisant malmener par l’agricultrice qui lui vent du foin. Ne vous méprenez pas, on n’est pas dans le burlesque ou l’humour façon Fluide Glacial. Ici, le trait est sérieux, le langage soutenu. L’irrévérencieux apparait au détour d’un gros mot qui surgit d’une phrase ampoulée, d’une expression en verlan, ou d’une idée incongrue. Dans ce joyeux bazar, Fabcaro maitrise l’art du du contre-pied. Il se moque, de lui, de nous, du passé, du présent. C’est drôle, je ris à chaque page. Mais que je l’aime !

Prisme du détournement

Depuis la Bredoute, détournement du catalogue de La Redoute en 2007 chez Six Pieds Sous Terre, c’est devenu sa pâte. Ce prisme du détournement de petites choses façon Monty Phyton se retrouvent dans toutes ses œuvres. Alors on pourrait s’en lasser, débusquer les ficelles mais pas du tout. Fabcaro ne s’essouffle pas. C’est toujours aussi surprenant et hilarant à la lecture. En tout cas sur moi ça fonctionne toujours aussi bien ! Même Télérama aime !

Ce bijou du génie de l’absurde est parfaitement mis en valeur dans l’édition de Six Pieds Sous Terre. Couverture noire cartonnée gaufrée avec la typo du titre en argent. Et une empreinte de doigt. J’aime les livres en tant qu’objet donc ça compte. J’avais précommandé la BD cet été dès l’annonce de sa sortie à ma librairie préférée. Je suis allée la chercher le jour de la sortie comme une urgence. Mais je ne l’ai pas lue tout de suite. Comme un bon gâteau que l’on attend avant de déguster.

Moon River de Fabcaro chronique BD

Remède à notre fichu monde

Dès le premier jour de sa sortie, des critiques dithyrambiques de libraires et de lecteurs ont été postées sur les réseaux sociaux. Cela m’a encore plus donné envie de prendre mon temps pour le savourer. Un arrêt maladie en novembre a représenté l’occasion parfaite. De bien m’installer, de l’ouvrir et de savourer chaque case, chaque dessin, chaque réplique. Un vrai plaisir de lecture. Avec Moon River, Fabcaro m’a fait rire, m’a détendue. Et comme souvent avec ses livres, je me suis sentie moins seule dans ce monde un peu con. Tout en proposant une autre lecture de celui-ci. Donc si je résume : Moon River est hilarant, rassurant et intelligent. Bravo et merci Mr Fabcaro !

Moon River, de Fabcaro, Éditions Six Pieds Sous Terre , 16€

Attembre, de Tanx

Ou comment une BD m’a réconciliée avec la lecture

Cet été, j’ai perdu le goût de la lecture. Tous les livres dans lesquels je me plongeais me semblaient futiles, inutiles. Après quelques pages laborieuses, ils me tombaient des mains. Jusqu’à Attembre, le journal de Tanx de novembre 2018 à août 2019 publié aux éditions 6 pieds sous terre. Ce beau livre m’a été offert par mon amie Blanche pour mon anniversaire. Soit quelques jours avant que je ne me trouve dans l’impossibilité de lire. Pour tenter de m’y remettre, j’ai d’abord essayé des titres plus légers. Sans succès. En fait, j’avais besoin de sens pour apprécier à nouveau la lecture et j’en ai trouvé dans ce récit très très personnel, écrit et dessiné. Merci Blanche. Et merci Tanx.

Attembre de tanx couverture chronique éditions six pieds sous terre

Attembre, contraction de attendre et des mois chiants en « embre »

Je suis très heureuse de l’avoir lu et de vous en parler à la fin de cette année très spéciale pour tout le monde. Année marquée par l’attente, de la fin du / des confinements, de la fin de l’épidémie, de la sortie de la crise économique. Cette année, on attend. Et Dans Attembre, Tanx raconte son raconte son ennui entre novembre 2018 et aout 2019, une période où elle a beaucoup attendu pour déménager de Bordeaux à Paris. À tel point que Bordeaux a représenté un hall d’aéroport comme elle dit. Attembre, la contraction de attendre et des mois en « embre ». Dans les 208 pages, il est question d’ennui donc mais pas seulement. Également de mélancolie, d’apathie, de colère, du manque d’envie. De l’état d’attente qui paralyse tout, empêche de se projeter, de créer, de profiter du présent.

Désespoir en textes et en dessins

Cela ressemble peut-être à une dépression. Il s’agit surtout d’un récit très personnel, une chronique d’un bouleversement dans sa vie comme on en connait tous. Sauf que Tanx est une artiste. Et ce chamboulement provoque des perturbations, de nombreuses questions. En posant sur une feuille son quotidien, Tanx y met tout, ses états d’âme, ses pensées les plus sombres, ses interrogations sur le moteur artistique, le format de la confession. Elle se demande s’il faut qu’elle soit au désespoir pour écrire ou créer. Est-ce que la guérison est la cause de son trou noir artistique ? Qu’elle se rassure : quand on la lit, ce n’est pas son désespoir qui l’a fait si bien écrire ou dessiner. C’est son talent à extérioriser son désespoir, le courage de le faire et de poser des questions difficiles. Sur le troublant rapport entre la réalité et la création, l’impulsion de vivre et comment, la concrétisation d’envies et de choix.

attembre de tanx quatrieme de couverture six pieds sous terre éditions

Fureur et authenticité

Ce livre, c’est aussi son questionnement sur le concept autobiographique qu’elle pratique depuis plusieurs années. Il fait d’ailleurs suite à Des croutes au coin des yeux parus en 2 volumes en 2016 et 2017. Puis regroupés dans une édition intégrale en 2018 sous le titre Toutes les croutes aux coins des yeux. L’auteur exprime ses doutes sur la frontière et les limites entre autobiographie et fiction, Elle se demande :  » Est-ce que je vis pour créer des souvenirs ?  » Obnubilée par sa créativité, dans le dessin, dans la consistance de son récit, elle se demande si elle arrive vraiment à tout raconter, si et pourquoi elle oublie ou exagère. Son récit est une mise en abime infinie.

Cela fonctionne car, comme à son habitude, l’autrice dessinatrice ne s’encombre pas de fioritures, de filtres. Dans le texte comme dans son dessin, elle livre un récit authentique, brut, emprunt d’une fureur de grande beauté. Son trait et son langage sont acérés, crus, parfois plus littéraires, plus appuyés. Il y a indéniablement une forme de grâce dans sa manière de se livrer, dans ses incertitudes et ses tâtonnements. Une grande humilité.
Je n’étais pas très en forme lorsque j’ai lu ce livre et il m’a fait du bien. Il m’a fait vibrer, me sentir moins seule dans les marasmes réguliers de mon esprit. Il m’a fait me sentir vivante à un moment où j’étais éteinte. Comme une bouffée d’oxygène après une trop longue apnée.

Sur la Vraie vie, de vrais questions

En libérant son âme sur le papier, Tanx accompagne le lecteur vers des vérités difficiles mais authentiques. Ha c’est certain, les cases carrées de Tanx ne ressemble pas à un beau fil Instagram. Mais qu’est ce que c’est bon de se plonger dans la vraie vie pour une fois ! Le partage de ses pensées fait cogiter. Sur des problèmes que l’on ne s’est jamais posé ou que l’on a jamais osé poser. Elle le fait. Et souvent on s’y retrouve dans ses questions, sur la liberté, la mécanisation de nos actes, les raisons et le but de nos choix ou non choix. On se sent moins seule en lisant Tanx. Attembre est une vaste exploration, un lâcher prise passionnant, impressionnant, intelligent et touchant. Ce n’est pas une BD glauque mais lumineuse, une œuvre en clair obscur bourrée d’humanité.

Édité par 6 pieds sous terre

Attembre, publié sous forme de fanzine en 14 volumes auto-édités, a été rassemblé en un seule beau livre par 6 Pieds sous terre en janvier 2020. Une maison d’édition de bande dessinée fondée en 1991 à Montpellier par Jean-Philippe Garçon, Jean-Christophe Lopez et Jérôme Sié. Rejoints ensuite par Thierry Durand et Yves Jaumain. Et désormais installée à Saint-Jean-de-Védas. Une éditeur indépendant qui édite des BD différentes et essentielles, belles sur la forme comme dans le fond et notamment des auteurs dessinateurs que j’adore comme Baudoin, Fabcaro, Florence Cestac, Guillaume Bouzard, James, Loïc Dauvillier, Manu Larcenet, Mathias Lehman, Gilles rochier, Nicolas Moog, Terreur graphique, Pierre Druihle, Winshluss et… Tanx !

L’œuvre d’une artiste sensible

Outre la BD, Tanx se consacre à l’illustration, aux affiches de concert, à la peinture, la linogravure. Vous pouvez découvrir son travail sur son compte Instagram. Et si vous voulez faire plus ample connaissance avec cet auteur si sensible, – entendez bien cet adjectif dans sa signification première – c’est à dire douée d’un sens aigüe de la perception à la vie, et qui retranscrit en mots et en dessins de manière si brute si forte ses sentiments, je vous invite à consulter régulièrement son blog.
SI elle publie des titres chez des éditeurs indépendants comme six pieds sous terre, elle pratique pas mal l’autoédition. Vous pouvez les découvrir Sur son échoppe.

Après avoir chroniqué Attembre à la radio, Tanx m’a envoyé un très gentil mot pour me remercier. J’ai été touchée par son œuvre. Elle a été touchée que son œuvre résonne en moi comme elle l’avait créé. Nous avons ressenti une sorte de communion via un livre. Cela le rend encore plus précieux. Au fil des ans, ma bibliothèque se réduit, faute de place et par envie de minimalisme. Attembre y restera, c’est certain.

Attembre, de Tanx, 208 pages, Éditions 6 pieds sous Terre, Collection Monotrème (Mini), janvier 2020, 17 €.

Écrire trois pages par jour

La Clef du bonheur ?

Depuis le mercredi 13 mai, je tiens un journal intime. Je le faisais pendant mon enfance et adolescence puis j’ai abandonné cette routine devenue adulte. J’écrivais pour mon travail, cela me suffisait. Reprendre cette narration personnelle pendant le confinement a produit sur moi un effet apaisant et anti-stress incroyable. Lorsque je l’ai arrêté le 11 mai, j’étais partagée entre le soulagement de ne plus avoir à écrire tous les jours et la tristesse de ne plus écrire tous les jours. Sentiment ambivalent qui résume bien mes perpétuels tourments !

Journal intime écrit à la main, la méthode des 3 pages

Journal intime

J’ai lancé ce blog il y a quelques années pour assouvir ce besoin d’écriture. Sans m’imposer de pression quant à la fréquence des posts. L’idée était de me faire plaisir et non d’ajouter une obligation de plus à ma longue liste de missions professionnelles et maternelles. Pendant le confinement, j’ai accéléré la cadence avec ce format de journal. J’en avais le temps et l’envie. Mais tenir le rythme a été parfois compliqué.

J’ai pourtant éprouvé un manque en l’arrêtant. Puis j’ai découvert la « méthode des 3 pages » recommandée par Julia Cameron dans son ouvrage Libérez votre créativité. Je n’ai pas lu ce livre et je n’en ai pas l’intention, je ne suis pas fan des guides de développement personnel. Les explications de Caroles Advices sur son site Psychotropes m’ont suffit.

La méthode des 3 pages

Dans son livre, Julia Cameron donne des outils pour aider les artistes à libérer ce qu’ils ont au fond d’eux. Je ne suis pas une artiste mais j’ai beaucoup de choses à libérer ! Parmi ces outils, l’auteur recommande chaque matin d’écrire 3 pages de journal :

  • Dès le réveil, comme une gymnastique matinale.
  • Écrites à la main. Ce format d’écriture permet de décrocher de l’informatique, de la possibilité d’effacer, de copier-coller. Cela induit aussi une écriture plus lente qui permet la réflexion avant l’action. Et la formation des lettres – comme le dessin ou toute activité manuelle – a un effet apaisant. Cette forme d’écriture autorise l’erreur, la personnalité. Il ne faut pas se soucier d’une belle écriture et ne pas avoir peur de rayer. Ces pages représentent comme un brouillon de votre vie qui permet de la mettre au propre !
  • Écrire tous les jours. Cette tâche sur une suite de jours représente une chaîne et c’est cette chaîne qui produit des effets dans le temps. Un rendez-vous quotidien auquel se raccrocher.
  • Ne pas relire ses notes avant 2 mois. Ce délai permet de prendre du recul par rapport à ces pensées. Et d’éviter les analyses ou jugements hâtifs.
Journal intime quotidien 3 pages par jour

Raconter sa vie

L’idée des 3 pages est d’écrire tout ce qui nous passe par la tête, sa vie, ses humeurs, ses colères, ses tristesses, ses doutes, ses envies, ses projets. Les poser sur le papier permet de clarifier ses pensées, les organiser, retrouver le sens des priorités avant d’attaquer la journée. Les extérioriser permet aussi de ne pas les ruminer et détourne la négativité. Comme lorsque vous écrivez un courrier de réclamation. Vous n’obtiendrez pas forcément gain de cause mais poser sa rancœur ou sa colère sur le papier fait déjà du bien.

Un jardin secret

Ces pages sont privées, personne ne les lira. On peut donc y livrer ses pensées ou sentiments les plus sombres. À l’inverse du blog où l’existence de lecteurs produit un effet de censure. En écrivant mon journal du confinement, je gardais une réserve par rapport à ma vie privée en privilégiant les sentiments positifs par pudeur. Le journal intime est un lieu sûr, parfait pour évacuer sans crainte de jugement. Cette sécurité représente une libération réjouissante. Un refuge rassurant où il est possible d’être soi-même sans filtre ni faux-semblant, sans peur ni peur ou culpabilité. Sans calcul, sans maîtrise.

Routine indispensable

Après plusieurs semaines de pratique, je suis convaincue par cette gymnastique matinale. Beaucoup plus que celle qui implique l’utilisation de mes petits muscles… La période qui a suivi le confinement a été relativement difficile d’un point de vue professionnel, financier, logistique et familial. Écrire ces 3 pages a vraiment représenté un soutien, un exutoire. Attraper mon carnet et stylo tous les matins m’a aidé à tenir le coup. Je me sens plus sereine après avoir écrit. Et la perspective de pouvoir le faire tous les matins m’a aidée à surmonter des situations difficiles ou angoissantes.

Je m’autorise parfois à n’écrire qu’une ou deux pages par manque de temps. Je ne veux pas ajouter une nouvelle obligation culpabilisante à ma charge mentale. Mais c’est arrivé rarement. Une seule fois, je n’ai pas écrit dans mon journal et la journée a été terrible.

Bavardage ou silence

Souvent, je suis prolixe, à écrire à toute vitesse, comme une urgence à vider mon sac. Dans ce cas, les 3 pages me prennent 15 minutes. D’autres fois, je suis plus oisive, plus taiseuse, à réfléchir quoi écrire. Finalement ce temps de latence réorganisent mes pensées, me permettent d’y voir plus clair et l’écriture suit. Dans ces moments, j’aime prendre le temps de bien former mes lettres. Comme les lignes d’écriture en primaire qui focalise l’esprit sur la tâche et vous procurent un sentiment de bien-être lorsque vous admirez le résultat. En moyenne, ma confession écrite quotidienne dure une vingtaine de minutes.

Un rituel rassurant

Certains écrivent leurs 3 pages sur des feuilles A4 volantes. J’ai évidemment choisi de le faire dans un carnet. J’avais en réserve plusieurs carnets encore neufs. Quel plaisir d’en dédier un à ce nouvel exercice. Après le bullet journal, mes carnets de notes professionnels, j’ai trouvé une nouvelle fonctionnalité à tous ces beaux cahiers que j’ai tant de plaisir à acheter. J’écris dans mon journal avec un stylo plume offert récemment par mes parents. Un beau carnet, un beau stylo, l’encre qui coule sur le papier… Tenir ce journal est devenu une cérémonie, un rituel rassurant.

Journal intime, bullet journal et carnet de notes.

Espace de liberté

J’ai réussi à réaliser que ces pages n’auraient jamais aucun objectif littéraire. Je ne me soucie pas du style. Aucun intérêt créatif non plus. Je m’autorise une écriture illisible ou mal formée, les ratures. Je ne suis même pas certaine qu’elles ont une vertu psychanalytique. Peu importe les répétitions ou les bêtises. Voilà enfin un endroit dans la vie où je peux agir librement, sans contraintes, sans calcul, sans soucis de maîtrise. Et c’est un grand plaisir.

Je n’ai pas encore relu mes pages car le délai d’attente de 2 mois s’achève le 13 juillet pour mes premiers écrits. Dans quelques jours, je sens que je vais rire ou prendre conscience de certaines choses. Dans tous les cas, je me sentirai mieux.

Poésie Art de l’insurrection, de Ferlinghetti

Cure de vitamines

Depuis la fin du confinement, poursuite de l’école à la maison, du télétravail et du désencombrement de la maison. Des journées intensives. Et comme souvent, je puise des forces dans la lecture. C’est exactement l’effet bénéfique qu’a produit Poésie Art de l’insurrection, de Ferlinghetti, traduit de l’anglais par Marianne Costa aux éditions maelstrÖm reEvolution. Une cure de vitamines, une cure de jouvence !

Chronique de Poésie Art de l'insurrection de Ferlinghetti, maelström reevolution

Recommandé par un libraire

Le confinement et la période tout aussi particulière que nous sommes en train de vivre a eu un effet positif sur ma PAL, ma pile de livres à lire : cela fait 3 mois maintenant que je n’achète -presque – plus de livres et que je pioche dedans, que je me cantonne à lire ceux qui attendent depuis des mois voire des années dans cette pile.

Parmi eux Poésie, Art de l’insurrection, le manifeste poétique et politique de Ferlinghetti. J’ai eu connaissance de l’existence de ce livre en regardant les reportages consacrés aux librairies dans La grande librairie, l’émission de France 5. En septembre 2019, c’était au tour de la librairie Caractères située à Mont de Marsan d’être visitée. Et de son fondateur et directeur de présenter ses livres fétiches. Parmi eux et dans la catégorie Livre engagé, Anthony Clément a recommandé ce petit livre rouge de Ferlinghetti. Quelques phrases qui m’ont donné envie de me plonger dans ce recueil. Et comme décidément la vie ne serait rien sans librairie, j’ai pu passer à l’acte grâce à ma librairie à la sélection toujours impeccable et qui l’avait en stock, la librairie Le vent délire à Capbreton.

Petit livre rouge

Acheté à l’automne dernier donc, j’ai fini par le lire pendant et après le confinement. La période idéale pour m’y plonger. Dans ce petit livre rouge – et pour une fois l’adjectif qualificatif n’est pas employé à tort -, Poésie art de l’insurrection est dans un format plus petit qu’un poche et ne fait que 100 pages. Ce petit livre de couleur rouge dont le format fait délibérément référence au petit livre de Mao. Dans ce petit livre rouge donc, le poète américain nous invite à faire de nouveau chanter la poésie ! Et nous exhorte pour cela à sortir, écouter, vivre, remuer, bousculer, inventer, découvrir. L’auteur s’adresse aux jeunes, aux poètes en devenir, à ceux qui peuvent participer au renouveau de notre monde vieilli, sclérosé, mourant.

Invitation joyeuse et énergique

Cette invitation poétique rédigée en 2007 alors que l’auteur avait 88 ans ne représente pas une leçon de morale d’un vieil aigri. Au contraire son invitation poétique est optimiste, joyeuse, énergique et souvent drôle. Lawrence Ferlinghetti nous éveille, nous réveille, nous touche. Et autant dire que dans le contexte, ce livre m’a fait un bien fou. Avec ce texte révolutionnaire, ses réflexions, incantations, ses mots ouvrent des portes longtemps fermées. Ils nous élèvent grâce au recul qu’ils apportent et finalement procurent une force incroyable. Pour se lancer en poésie et dans la vie. Ces lignes donnent envie de décrocher des montagnes ! Et pour mieux vous en convaincre, un court extrait !

Si tu te veux poète, invente un nouveau langage que chacun puisse comprendre.

Si tu te veux poète, prononce des vérités nouvelles que le monde ne pourra nier.

Par l’art, crée l’ordre à partir du chaos vital.

Poésie Art de l’insurrection.

Marianne Costa, la traductrice, précise dans une note en début d’ouvrage qu’elle a traduit le « you » américain par la seconde personne du singulier en français après concertation avec l’auteur excellent francophile. Tout comme il a été décidé avec lui que ce « tu » serait de genre masculin et féminin. Donc les genres s’alternent. Des choix de traduction qui comme dans la version originale du texte le rendent accessible à tous. Comme si l’auteur s’adressait à chacun de nous en particulier. Une proximité, une chaleur que l’on ressent à la lecture et qui confère une plus grande force aux propos.

Qu’est-ce que la poésie ?

Ce recueil contient également le texte Qu’est-ce que la poésie. Texte qui devrait être enseigné à tous les étudiants en littérature tant l’auteur, digne représentant de la beat génération, multiplie les infinis possibilités du genre, les formes, les raisons d’être de la poésie. En fin d’ouvrage figurent également de nouvelles traductions de manifeste politique N°1 texte de 1976, Manifeste politique N°2 et La poésie moderne est de la prose, 2 textes écrit en 1978. Des textes qui malgré leur âge représentent de véritable bouffée d’air frais, une vision et une écriture inventives, libératrices.

Le père de la beat generation

Lawrence Ferlinghetti est né en 1919 aux États-Unis. Il a cofondé et dirigé la librairie City Lights à San Francisco puis une maison d’édition du même nom spécialisée en poésie, éditeur notamment du célèbre Howl de Ginsberg. Poète, libraire, éditeur, globe trotter, ce représentant de la beat génération qui a fêté ses 100 ans l’an dernier, est engagé politiquement. Idéologiquement pour l’anarchie et plus concrètement pour la sociale démocratie.

L’édition de ce petit livre rouge en français, on la doit à l’éditeur belge maelstrÖm reEvolution. Maison d’édition mais aussi librairie, festival international de poésie. La maison d’édition est née en 1990 comme projet ouvert d’artistes italiens, belges, français autour d’une revue. Elle a évolué ensuite en tant que collection chez un éditeur puis est devenu une maison d’édition à part entière en 2003. Spécialisée en poésie contemporaine, elle édite également des romans, des nouvelles et des essais, une dizaine de livres par an.

Grand voyageur

Elle a publié de l’auteur son œuvre la plus célèbre A Coney Island of the mind accompagnée d’autres poèmes dans une traduction également de Marianne Costa. Et ce manifeste rouge, Poésie art de l’insurrection, titre indispensable, pour les amateurs de poésie mais également pour tous ceux et celles que le genre effraye ou rebute.
Et si vous appréciez à sa juste valeur ce recueil poétique et philosophique qui insuffle joie et esprit de combat, je vous invite ensuite à vous plonger dans La vie vagabonde, ses carnets de route dans lesquels il raconte 50 ans de voyage. À défaut de pouvoir effectivement voyager, ce livre publié l’an dernier aux éditions du Seuil représente un bon moyen de le faire par procuration tout en profitant des heureuses pensées de ce jeune homme de 100 ans. Mais c’est une autre histoire donc nous reparlerons (puisque j’ai ajouté ce titre dans ma liste de livres à lire !). En attendant, procurez-vous d’urgence Poésie Art de l’insurrection !

Poésie, Art de l’insurrection, de Ferlinghetti, traduit par Marianne Costa, éditions maelstrÖm reEvolution, 10 €.

Dépôt de bilan de compétences, de David Snug

Le sens du travail, revu et corrigé

Pendant le confinement, j’ai lu Dépôt de bilan et de compétences, la dernière B.D. de David Snug parue aux éditions Nada en février. Je l’avais acheté lors de mes dernières vacances dans le Tarn à la superbe librairie-café Plum à Lautrec (#bonneadresse). La crise sanitaire et économique a provoqué de nombreuses réflexions sur la nécessité, le sens du travail. La lecture de cette bande dessinée n’en a été que plus pertinente !

chronique de dépôt de bilan de compétences de david snug éditions Nada

Dans ce titre autobiographique, David Snug part de ses expériences professionnelles pour nous livrer ses réflexions sur le travail, de l’absurdité du salariat aux dérives du capitalisme. CDD, intérim, chômage… En racontant des épisodes de sa vie, il aborde la question du déterminisme social, de la pénibilité du travail à la chaîne, du vide des formations professionnelles… Bref, toutes les absurdités et dérives du système.

Chômeur actif

Ce n’est pas tant la notion de travail que l’auteur remet en cause ! Car il écrit, dessine et partage des planches de BD tous les jours sur son blog ou les réseaux sociaux. Il répète avec son groupe et donne régulièrement des concerts. Il ne chôme pas même s’il est chômeur ! C’est plus la notion d’obligation du travail et sa déclinaison en salariat qui le rebute. Et la recherche de liberté qui l’anime et qui devrait tous nous animer finalement…

https://www.youtube.com/watch?v=pFkkowTLJbg

Quand il raconte dans le livre ses expériences de travail dit  » non-qualifié  » et sous-payé, le manque d’intérêt et la longueur des missions, la répétitivité des tâches démontrent que ces boulots nécessitent pourtant des qualifications ! De patience, de courage, de concentration et de précisions. Clairement, peu de grands patrons ou d’homme politiques seraient capables de les exercer. Et dans le sens de cette qualification, il apparait déraisonnable de les sous-payer. Alors que les dirigeants amassent des ponts d’or. C’est cette réalité que l’auteur dénonce avec humour et intelligence. Sans avoir peur de mettre les pieds dans le plat.

Plaidoyer en faveur d’un salaire minimum

Placer ce livre entre les mains de grands patrons ou d’hommes politiques pourraient leur faire réaliser la nécessaire augmentation du salaire minimum. Et la condition de David Snug, artiste qui participe à sa manière au fonctionnement et à l’équilibre de notre société, leur donnerait aussi – peut-être – la bonne idée de mettre un place un revenu minimum pour tous. Mais je crains que ces hommes réputés pour leur premier degré soit détournés de l’intelligence du propos par le dessin insolent et l’humour ravageur de David Snug.

Râleries salutaires

David Snug est en réalité Guillaume Cardin. Il a choisi ce pseudo pour faire plus américain. Originaire de Caen, il vit désormais à Paris. Je l’ai découvert en 2011 à la parution de son titre 64 ans en 2039 aux éditions Les enfant rouges dans lequel il raconte les aventures de son double projeté dans le futur et résistant à l’implant d’une puce dans le rectum. J’ai immédiatement été séduite par son irrévérence qui dénonce avec humour les travers de nos sociétés modernes. C’est un râleur qui fait preuve d’un sens critique plus développé que chez le commun des mortels. Un de ceux à qui on ne l’a fait pas. Bref, un être essentiel.

Et dans ces récits largement autobiographiques, on retrouve souvent son aversion pour l’industrie musicale, la publicité, le travail en général, les enfants et les cons en particulier. Depuis, j’ai savouré tous ces livres avec un plaisir immense. Comme Lionel J et les PD du cul, publié chez Marwanny, encore un formidable pamphlet qui fait coup double à la fois contre l’industrie de la musique et les hommes politiques. Mais aussi J’aime pas la musique, autre récit autobiographique, BD d’apprentissage où il raconte comment, son rejet pour l’ordre et les normes l’ont amené au punk et à la BD underground.

Impertinence et manque de tact

Même rigolade dans La vie est trop Kurt, Éditions Même pas mal, où on le suit débarqué à Paris, nouvelle terre d’énergumènes bons à être fustigés ! Ou encore Je n’ai pas de projet professionnel, en 2017 chez le même éditeur. Là encore autobiographie satyrique du monde de la musique en général et des structures musicales subventionnées en particulier. David Snug semble ne rien s’interdire. Il brille par sa pertinence saupoudrée de manque de tact (définition de l’impertinence ?). Le lire est une vraie bouffé d’air frais pour la petite bobo de province que je suis devenue. Je suis aussi très fan de son trait, à la fois simpliste et naïf, tout en rondeur, mais aussi dense et rageur avec ses textures, hachures, points qui ne sont pas sans évoquer le style de Crumb.

Critique sociale

Ce dernier titre Dépôt de bilan de compétences est publié chez Nada, maison d’édition indépendante spécialisée notamment dans la publication d’essais ou des récits ayant trait à la critique et à l’histoire sociales. Ce n’est donc pas une maison d’édition B.D. mais un éditeur tout à fait cohérent pour publier le dernier pamphlet de David Snug sur le travail. Car sa critique du travail bien que décalée est largement documentée, en témoigne la bibliographie à la fin de l’ouvrage.

Les idées de David Snug ne sont pas des diatribes dignes du café du commerce. Dans Dépôt de bilan de compétences, la force de son propos repose sur la mise en perspective de son expérience avec toutes ses lectures sur la notion de travail, de paresse, de liberté et d’aliénation. En fin d’ouvrage, le très sérieux sociologue et docteur en tourisme Julien Bordier, resitue très intelligemment aussi le propos de la B.D. La notion de travail, sa construction historique, l’idéologie et le sens du travail.

Dépôt de bilan de compétences de David Snug éditions Nada 4eme de couverture

Lire ou écouter, inutile de choisir

Bref 96 pages passionnantes pour la modique somme de 15 € qui ont le mérite de nous faire marrer et de nous faire réfléchir. De bonnes pistes pour donner un sens à nos 7 heures de labeur quotidiennes (ou pas).

Et, ô joie, David snug est à l’affiche du festival pluridisciplinaire le Make noise fest ! Organisé le 18 juillet par le tiers-lieu Container à Angresse dans les Landes. Pour une rencontre et expo de ses planches mais aussi un concert de son groupe Trotsky musique. Je croise les doigts tous les jours pour que le festival ait bien lieu. Tout en craignant une rencontre avec lui dans le cadre d’une interview radiophonique… Si je me régale de son propos critique, je réfléchis déjà à la pertinence de mes questions pour ne pas me faire afficher par le maître !

En attendant, je vous invite à lire Dépôt de bilan de compétences. À lire toute son œuvre. À le suivre sur son blog et les réseaux sociaux, Instagram et Facebook. Et à écouter son groupe Trotski Nautique ! Voire, à lire toute son œuvre en écoutant son groupe !

Dépôt de bilan de compétences, de David Snug, Éditions Nada, 96 pages, 15 €.

Plutôt Couler en beauté que flotter sans grâce

Réflexions sur l’effondrement, de Corinne Morel Darleux

Il n’est pas sublime ce titre de livre ? Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce. Dès que mon amie Claire l’a prononcé, j’ai eu envie de le lire. Et quand elle m’a précisé le contenu de cet essai, les réflexions de Corinne Morel Darleux sur l’effondrement de notre super société, j’ai foncé, il y a quelques semaines chez la librairie Le vent Délire. Je pensais devoir le commander car il a été publié aux éditions Libertalia en juin 2019. C’était sans compter sur l’incroyable sélection de ma libraire préférée : elle l’avait en rayon ! J’ai donc pu me plonger instantanément dans ce recueil au titre métaphorique et poétique. Dont le sujet titillait ma sensibilité, mes humeurs.

chronique de Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce

Plutôt couleur en beauté que flotter sans grâce est un essai de la militante écosocialiste rédigé à la première personne. Corinne Morel Darleux livre ses réflexions pragmatiques et poétiques quant aux solutions pour limiter l’effondrement inévitable de notre société de consommation capitaliste. Et pour repenser notre quotidien, notre éthique afin de préserver notre humanité, au sens environnemental et sociétal, Corinne Morel Darleux s’appuie des maitres spirituels, comme l’écrivain Romain Gary ou plus étonnant le navigateur Bernard Moitessier.

Un guide

Sa réflexion et cet essai partent de la lecture de La longue route, le récit autobiographique du périple du navigateur pendant la première course autour du monde en solitaire du Golden Globe, en 1968. Alors qu’il était sur le point de réaliser un exploit, de remporter la course, le navigateur a choisi de ne pas rentrer, de ne pas gagner cette course.

J’avais envie d’aller là ou les choses plus simples. (…) Je n’en peux plus des faux dieux de l’Occident toujours à l’affut comme des araignées, qui nous mangent le foie, nous sucent la moelle. Et je porte plainte contre le monde moderne, c’est lui le monstre. Il détruit notre terre, il piétine l’âme des hommes. »

La longue route, Bernard Moitessier

Plus qu’une fuite ou un coup de tête, la décision murement réfléchie de Bernard Moitessier se caractérise par le refus de parvenir. Avec ce livre, La longue route, Corinne Moral Darleux trouve un guide, une figure qui ne peut plus la décevoir. Et sa philosophie, refuser de parvenir devient le point de départ son l’essai.

Le refus de parvenir

Qu’est ce que le refus de parvenir ? L’auteur nous rappelle que ce concept jusque là développé dans les milieux anarchistes et libertaires avait avant tout une portée égalitaire et collective. Qui signifiait rester à sa place pour poursuivre la lutte. Mais ce refus représente également un affranchissement individuel via le dépouillement, une émancipation de la tutelle ou de l’autorité.

Et aujourd’hui, l’auteur propose d’envisager le refus de parvenir pour cesser de nuire, transformer les différences individuelles en force collective. Pour développer son propos passionnant, l’auteur ne cesse de le rapprocher de la philosophie du navigateur, légende malgré lui. Elle distingue le héros de la victime en expliquant le concept d’intention, la nuance entre choisir de vivre dans le dénuement et le subir. Loin d’être un essai rédigé par une partisane de la gauche caviar, Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce, ne laisse pas de côté les plus démunis, victimes malgré elle de notre système.

L’auteur croit au progrès social qui offre la possibilité de choisir plus qu’à l’égalité des chances qui pour elle représente une fable. Cette liberté de choisir dépend des conditions matérielles évidemment mais également de l’éducation. Le refus de parvenir ne devient possible que si chaque personne a la capacité de s’interroger. Il n’implique pas forcément la rébellion ou l’action mais au moins d’être en mesure de se poser la question, de savoir que le choix est possible.

Reprendre sa vie en main

Écrit et publié il y a quelques mois, cet essai prend encore plus résonance aujourd’hui… Invitation à réfléchir et choisir. Se détacher de la nouveauté à tout prix, des réseaux. Reprendre le temps de la réflexion, de la contemplation et non de l’émotion instantanée ou de réaction impulsive. Ce recul, cette réflexion permet de reprendre sa vie en main : ne plus suivre le chemin tracé par notre éducation, notre société et le subir, être malheureux. L’auteur invite chacun de nous à analyser ce qui nous fait ruminer, râler, ce qui nous fatigue, ce qui nous rend malade afin de trouver des solutions et agir.

Changer sa perception

Corinne Morel Darleux ne nous enjoint pas à entrer en révolution, tout quitter ou tout foutre en l’air. Elle présente sa réflexion personnelle et stimule ainsi notre perception de l’existence au sens large et du quotidien en particulier. Comme changer certains aspects de sa vie, envisager les choses autrement. L’auteur nous rappelle l’importance de la perception, celle de reprendre la main pour se sentir bien et ressentir de la joie. La capacité de réflexion c’est l’analyse mais également la capacité d’imagination. Et pour contrer cette machine à broyer l’imagination qu’est notre système, elle cite avec pertinence – dans l’absolu et encore plus aujourd’hui – Françoise héritier.

Il y a une forme de légèreté et de grâce dans le simple fait d’exister, au-delà des préoccupations, au-delà des sentiments forts, au-delà des engagements, et c’est de cela que j’ai voulu rendre compte. De ce petit plus qui nous est donné à tous : le sel de la vie. »

Le sel de la vie, Françoise Héritier.

Le déterminisme social et culturel n’exonère pas de son libre arbitre, il ne doit pas empêcher de réinvestir sa souveraineté, passer de la soumission à l’action. Dans les 100 pages de cet essai, Corinne Morel Darleux – à l’image du titre – n’hésite pas à utiliser des métaphores poétiques pour imager son propos.

Le refus de parvenir c’est comme faire quelques pas de côté. »

Chacun peut faire son pas

Et chaque pas de côté de chaque individu a la capacité de bouleverser notre modèle voué à l’échec, aura une incidence sur la réalité de l’effondrement. Plutôt que de son fondre dans une seule pensée, un dogme unique comme elle l’a fait elle même pendant son investissement politique, l’auteur croit désormais à l’archipellisation. Plutôt que d’attendre que le système des partis, des mouvements politiques fonctionnent – alors que cela n’a jamais été le cas – elle propose à chacun de résister et ainsi de multiplier les blocs de résistance. Encore une idée intéressante et passionnante. Car réaliste et non culpabilisante, respectueuse de chacun. Et qui replace l’individu au cœur du fonctionnement du collectif !

Retrouver un éthique

L’horizon c’est l’effondrement ? Pour que cette idée ne plombe pas notre présent, il s’agit de retrouver du sens dans l’existence malgré cette perspective. Et pour cela Corinne morel Darleux propose une éthique la dignité du présent, une éthique de résistance et de décroissance. C’est comme l’appelle l’auteur si joliment une « boussole éthique ». Pour trouver le juste chemin, celui qui vous fait du bien sans nuire aux autres, une sorte d’optimisme éclairé, bienveillant et respectueux.
Ce livre ne fait que 100 pages mais je pourrai vous en parler des pages tant cette lecture a raisonné en moi. Il y a quelques mois à la première lecture. Et encore plus aujourd’hui dans notre contexte…

Une élue qui réfléchit

Merci infiniment pour ces réflexions Corinne Morel Darleux. Militante écosocialiste et chroniqueuse régulière pour Reporterre, elle a été l’une de cofondatrices du Parti de Gauche, dont elle a été Secrétaire nationale en charge de l’écologie puis du développement de l’écosocialisme à l’international avant d’en quitter la direction en novembre 2018. Elle est également élue, Conseillère régionale en Auvergne Rhône Alpes. Ils ont de la chance d’avoir une telle élue dans cette belle région ! Depuis 10 ans elle a tenu un blog puis a eu envie de changement en 2019. Elle écrit donc ses billets désormais sur Revoir les lucioles. Encore une lecture saine pendant la crise sanitaire pour ne pas perdre son esprit critique !

Plutôt couleur en beauté que flotter sans grâce 4ème de couverture

Libertalia, pirates de l’édition

Cet essai Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce est publié aux éditions Libertalia. Maison d’édition indépendante qui existe sous forme associative depuis 12 ans et placée sous le drapeau des pirates. Car elle tient son nom de la république égalitaire fondée au nord de Madagascar fin 17ème par un bourgeois passé pirate et un prêtre défroqué aux idées révolutionnaires ! Un nom symbolique qui désigne une maison prompte à publier des livres différents et intelligents. Quitte à prendre le risque « d’armer nos esprits afin de nous aider à vivre dans un monde plus libertaire et plus égalitaire. » Littérature classique et contemporaine, essais qui bousculent les idées préconçus et les esprits étriqués. Profitez du confinement pour découvrir ce catalogue, l’éditeur offre actuellement des versions numériques de certains de ses titres.
Cet essai remarquable, court et riche à la fois, loin de nous assommer quant à l’effondrement, ouvre des portes. Des fenêtres pour laisser passer la lumière. Pour mieux vivre aujourd’hui et demain. Ce guide philosophique et humaniste vaut la modique somme de 10 € en version papier. Et 5,49 € en version ePub. Ce serait dommage de se priver.

Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce, Réflexions sur l’effondrement, de Corinne Morel Darleux, Éditions Libertalia, 104 pages, 10 € (5,49 € en numérique).

Formica, de FABCARO

Tragédie comique irrésistible

Souvent, au sein de nos magnifiques sociétés modernes et dites évoluées, nous pouvons ressentir de la colère, de l’indignation ou de la triste face à la bêtise humaine, des élites ou du commun des mortels. Dans ces cas là, on peut s’adresser à un professionnel de la psychologie pour apprendre à supporter les 95% de névrosés et 5% de psychopathes qui nous entourent. On peut lire aussi. Si vous optez pour cette solution, non remboursée par la Sécurité Sociale, je vous recommande toute l’œuvre de Fabcaro en général et son dernier titre en particulier : Formica, paru aux éditions 6 Pieds sous terre.

chronique de formica, BD de Fabcaro, éditions 6 pieds sous terre

Drame familial

Avec Formica, Une tragédie en 3 actes, vous ne vivrez plus les réunions de famille de la même manière. Dans cette BD, l’auteur dessinateur nous invite à passer le fameux traditionnel déjeuner du dimanche en compagnie d’une famille bien sous tous rapports. Mais ce moment dominical sacré, de partage et d’amour, prend une tout autre tournure lorsque les membres de cette famille se posent la question : mais de quoi va t-on bien pouvoir parler ? Et là c’est le drame. L’auteur l’annonce sur la couverture, ce livre est une tragédie. Telle une tragédie grecque, Formica nous emmène dans les tréfonds de l’âme – avec des morts, des drames et tout – sauf que c’est super drôle.

Familles dysfonctionnelles

Fabcaro a l’habitude d’être piquant sur le couple, la société de consommation et la connerie humaine en général en dessinant son absurdité à l’extrême. Il va encore plus loin dans Formica. Il a définitivement rayé l’expression politiquement correct de son processus de création et c’est hilarant. Dans cette famille par exemple, les enfants jouent au jeux des 7 familles dysfonctionnelles qui comprend la famille Boulghour et curcuma avec la mère ergothérapeute, la famille Manif pour tous avec le père qui a un pull sur les épaules ou encore la famille Chassé-croisé du 15 août dont le père est décédé. Je vous avais prévenu, c’est trash et irrésistible. J’ai eu honte de rire parfois car comme toute bonne occidentale marquée par l’héritage judéo-chrétien, je me traine encore quelques blocages. Mais j’ai ri, je suis sur la bonne voie !

Planche BD de Formica de Fabcaro éditions 6 pieds sous terre.
© Fabcaro / 6 Pieds sous terre

Dans les 3 actes de cette tragédie comique, le dessin appuie le propos – la vacuité des réunions de familles ennuyantes et hypocrites – avec un trait fin et léger, des couleurs criardes seulement pour les personnages. Comme dans une pièce de théâtre, Fabcaro construit son récit avec une unité de lieu et de temps. L’auteur le rythme en utilisant la mise en abyme. Via un chœur antique qui s’introduit dans la réunion de famille. Des scénettes d’une page sur un vol aérien low coast. Ou encore des voyageurs de métro déguisés en nourriture. C’est absurde et magnifique. Vous n’allez pas sourire en lisant Formica, vous allez rire au éclats. On tourne les pages et on secouent les épaules sans ne plus rien contrôler. C’est tellement bon.

Fabcaro fan club

Oui dans mon émission radio littéraire Délivrez-moi sur Wave Radio, j’ai chroniqué il y a peu Open bar de Fabcaro. Oui je lis et chronique toutes les BD de cet auteur. C’est objectivement justifié : il est excellent et productif ! Ce n’était pas encore le cas sur le blog, c’est réparé ! Faites-vous du bien, lisez et offrez La bredoute, -20% sur l’esprit de la foret, Et si l’amour c’était aimer, Open bar… Et évidemment Zaï Zaï Zaï Zaï, paru en 2015 et auréolé de nombreux prix : Prix du public Sud-Ouest/Quai des bulles à St-Malo, Prix RTL BD du mois, Album d’or Festival de Brignais, Mention spéciale du Président du jury du prix Landerneau 2015, Prix des Libraires de bandes dessinées 2016, Prix de l’association des critiques (ACBD) 2016, Prix SNCF du Polar 2016 !

Indispensable 6 pieds sous terre

Formica, comme de nombreuses œuvres de Fabcaro, est publié chez l’excellente maison d’édition 6 Pieds sous terre, une maison indépendante, éditeur de bandes dessinées moderne et alternatives, fondée en 1991 à Montpellier par Jean-Philippe Garçon, Jean-Christophe Lopez et Jérôme Sié. Une maison d’édition indispensable qui publie des auteurs indispensables comme Edmond Baudoin, Guillaume Bouzard, Gilles Rochier, James, Loïc Dauvillier, Manu Larcenet, Matthias Lehman, Terreur Graphique, Tanx et bien d ‘autres ! Des lectures savoureuses qui devraient être remboursées par la Sécu.

Quoique c’est un vrai plaisir de dépenser quelques euros pour de si bonnes lectures. C’est comme une thérapie, le paiement fait partie intégrante des bénéfices. Foncez sur leur site pour découvrir leur catalogue. Et foncez chez votre libraire vous procurer Formica de Fabcaro !

Formica, Une tragédie en 3 actes, de Fabcaro, 64 pages, 13 €, Éditions 6 Pieds sous terre.

Que faire des Cons ?, de Maxime Rovere

Essai Pour ne pas en rester un soi-même

Aujourd’hui je vous recommande la lecture d’un essai philosophique écrit par Maxime Rovere : Que faire des cons ?, publié chez Flammarion cette année. Ayant pour sous-titre « pour ne pas en rester un soi-même ». Un livre, deux effets. Bref, une lecture très utile par les temps qui courent. Drôle et intelligente !

Les cons, un sujet universel

Le titre du livre est clairement incitatif. Quelques mots de l’auteur en interview ont fini de me donner envie de me plonger dedans.
Les cons, un fléau universel qui traverse les époques et donc nous souffrons tous. Avouez qu’en vous énonçant le titre du livre, vous ressentez un intérêt non négligeable pour le sujet car comme disais Frédéric Dard, un autre grand philosophe, dans les pensées de San Antonio :  » Le règne du con est arrivé depuis si longtemps qu’il ne cessera qu’avec l’espèce. « 

Comme l’explique l’auteur dans son préambule, les philosophes se sont plus attardés sur l’intelligence et moins sur la bêtise. Pourtant l’opinion, les préjugés, l’orgueil, la superstition, l’intolérance, les passions, le dogmatisme, le pédantisme, le nihilisme sont bel et bien là traversant les époques. Les cons s’obstinent et pour vivre avec l’un d’eux en colocation, l’auteur a eu envie de trouver une solution pour vivre avec. Mais aussi pour ne pas en devenir un ou en rester un. Car vous l’avez certainement expérimenté mais face à un con, nous avons tendance perdre notre capacité d’analyse, adopter son langage, entrer dans son jeu, bref à devenir con…

théorie de la relativité du con

Avant de d’esquisser son raisonnement et des solutions, Maxime Rovere précise la relativité de la notion de connerie : on est tous le con de quelqu’un et chacun a son con. En fait, dès que nous avons un problème avec un con, c’est que nous en sommes un. Chacun a ses limites… Et je ne vous juge pas en acceptant ce principe de Maxime Rovere. J’admets ma propre connerie…
Et afin de ne pas rester trop con, j’ai eu envie de tenter la proposition de l’auteur : lire ce livre non pas je cite pour devenir meilleure que les cons mais devenir meilleure que moi-même !

Un Fléau endémique

Dans le même état d’esprit, le philosophe s’interdit de dresser une définition, une typologie des cons, les formes de la connerie étant en nombre infini, ce recensement serait un peu con. Il préfère s’intéresser à la grande question : pourquoi les cons nous submergent et finissent par répandre leur connerie en nous ?
En 200 pages, l’auteur tente de répondre à ces questions existentielles : comment on tombe dans les filets des cons, comment se remettre de sa stupeur, comment l’impuissance engendre le devoir, comment écouter un con, pourquoi la menace est une forme de soumission, pourquoi les cons gouvernent, se multiplient et gagnent toujours ? Plus qu’un livre de développement personnel, cet ouvrage représente un essai philosophique passionnant, une vision systémique du con et des moyens de les appréhender. Maxime Rovere, écrivain et historien de la philosophie, professeur, est l’un des spécialistes de Spinoza. Il a d’ailleurs publié chez Flammarion en 2017 Le clan Spinoza.

la philo pour les nuls

Je ne vais pas me permettre de vous donner des clefs dans cette chronique. Vous comprendrez qu’il est bien impossible (voire con) de résumer ou interpréter les 200 pages passionnantes de ce philosophe, en quelques lignes. Je peux en revanche vous recommander sa lecture. D’abord, inutile d’être diplômé en philosophie pour l’aborder, l’auteur utilise un langage simple et explique parfaitement les concepts. Ensuite, ce livre n’est pas l’œuvre d’un intellectuel prétentieux. C’est vrai que le titre, un jugement en soi, pouvait faire craindre la leçon d’un être qui se prétend supérieur. Sauf que Maxime Rovere nous éclaire sur toutes les conneries, celle des autres, la sienne et la notre avec humour, humilité et bienveillance.

Son essai permet de prendre le recul nécessaire pour activer un détecteur de cons et nous apprendre à nous en défaire. Retrouver une certaine liberté, hauteur face à ce phénomène qui ronge l’humanité depuis des siècles. Les cons existeront toujours. Nous ne sommes pas obligés d’en faire partie !

Prendre de la hauteur

Je ne vous dis pas qu’après la lecture du livre, je suis devenue définitivement intelligente (ce serait un peu con). Mais j’y ai trouvé quelques clefs, ouvert quelques portes vers une plus grande sérénité, une certaine liberté. J’y travaille. Dans la vie, les années passant, deux options se profilent en général : devenir plus sage, prendre de la hauteur ou rester coincé dans ses principes et des mécanismes d’autodéfense ou de réactions très cons. Comme j’essaye depuis quelques années déjà la première solution, j’admets que ce livre est très utile. Et je le garde précieusement, pour en relire des chapitres, comme des piqûres de rappel anti-connerie. Je précise que je ne l’offrirai pas à quelques cons pour les aider. Car comme le dit l’auteur : « Renoncez aux jeux de langage, ils ne veulent pas comprendre ». Je suis déjà devenue un peu moins con, non ? Merci Maxime Rovere !

Que faire des Cons ? Pour ne pas en rester un soi-même, de Maxime Rovere, Editions Flammarion, 210 pages, 12 €.

Article 353 du code pénal de tanguy viel

Roman sublime sur Le sens de la responsabilité

J’avais manqué Article 353 du Code Pénal, le roman de Tanguy Viel paru en janvier 2017 aux éditions de minuit. Il avait obtenu la même année le Grand Prix RTL Lire. Je me suis rattrapée cette année grâce à la sortie en format poche dans la très classe collection Minuit Double des Éditions de Minuit.

Direction le Far West et plus exactement le Finistère. Le anti-héros de Tanguy Viel, Martial Kermeur, vient d’être arrêté par la police pour avoir jeté à la mer le promoteur immobilier Antoine Lazenec. S’ensuit un huis clos avec le juge d’instruction devant lequel il est déféré. Tête-à-tête au cours duquel Martial Kermeur retrace les événements qui l’ont conduit à balancer cet homme à la mer. Comment cet homme méfiant, divorcé, licencié a confié au promoteur son indemnité de licenciement pour un projet immobilier censé faire revivre la presqu’île économiquement et moralement sinistrée.

confession d’un coupable victime

On sait dès le début du roman qui est l’assassin et qui est la victime. Le déroulé de l’intrigue nous explique les circonstances de ce drame et fait basculer les statuts de victime et coupable. Martial Kermeur, Breton taiseux se plonge dans un monologue sans faux-semblants. Il confie au juge ce qu’il n’avait jamais osé dire à personne, les tourments, la culpabilité et la colère qui l’ont brisé pendant des années, lui, sa famille et la presqu’île. Une confession tardive : « la ligne droite des faits, c’était comme l’enchaînement de mauvaises réponses à un grand questionnaire ».

Une confession volubile, de longues phrases ponctuées de points virgule, seules respirations. Après s’être tu pendant des années, Martial Kermeur se délivre dans la parole. Qui contient toute la lassitude, les échecs, les regrets de cet honnête homme, imparfait mais droit… Qui n’a trouvé d’autre issue que de balancer un homme à la mer pour se libérer de ses tourments. Avec ce monologue, Tanguy Viel place le lecteur dans la position du juge.

bout d’humanité oubliée

Au delà du drame, Article 353 du Code Pénal est un portrait social d’un bout de France mourant et oublié… D’hommes et de femmes isolés sur le plan géographique mais aussi économique et culturel. Ils rament avec pour décor un ciel tantôt lumineux tantôt brumeux.

Dans ce nouveau roman Tanguy Viel ne se contente pas de faire écho d’un fait divers. Il choisit une narration plus visionnaire qu’à l’habitude. À travers la version du héros, nous découvrons une réalité profonde, qui va au delà de sa culpabilité immédiate. Après L’Absolue perfection du crime (Minuit, 2001 et « double », 2006), Insoupçonnable (Minuit, 2006), Paris-Brest, roman (Minuit, 2009), l’auteur poursuit son exploration de l’humanité, du destin, des chemins qui conduisent au bien et au mal, de la responsabilité individuelle. Avec dans ce roman, le drame qui donne le ton. Né à Brest en 1973, Tanguy Viel a publié son premier roman Le Black Note en 1998 aux Éditions de Minuit qu’il n’a plus quitté.

lumineuses éditions de minuit

Je suis fan de cette maison d’édition qui se concentre sur les textes avec des couvertures de roman toujours identiques – fond blanc, typo bleu -. Sobres et classes. On doit notamment aux éditions de Minuit la publications d’œuvres d’Aragon, Mauriac, Éluard, Marguerite Duras… Et plus récemment Jean Échenoz, Éric chevillard, Jean-Philippe Toussaint, Yves Ravey… Bref une maison indépendante, curieuse qui doit son nom aux conditions de sa création, dans la clandestinité en 1941. Et dont le premier titre publié était Le silence de la mer de Vercors. Je n’ai jamais été déçu par un de ses auteurs. Et j’ai plaisir à découvrir les premiers romans qu’ils proposent.

Fidèle à cette maison, Tanguy Viel construit une œuvre embrumée et brillante. À travers les destins d’anti-héros crachant leur vérité, victimes de la vie, d’eux-même et des autres, tentant de s’affranchir de leurs poids. C’est encore le cas avec le brillant Article 353 du Code Pénal. Roman qui en outre contient une dimension sociale réaliste et universelle. Je ne vous explique pas le titre du roman – qui n’est pas très engageant je vous l’accorde -. Car il contient la chute de l’intrigue. Mais je peux vous donner un indice : Tanguy Viel a expliqué dans une interview que le roman aurait pu s’appeler intime conviction…

Article 353 du Code Pénal, de Tanguy Viel, collection Minuit double, Les Éditions de Minuit, 8 €.