Réflexions sur l’effondrement, de Corinne Morel Darleux
Il n’est pas sublime ce titre de livre ? Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce. Dès que mon amie Claire l’a prononcé, j’ai eu envie de le lire. Et quand elle m’a précisé le contenu de cet essai, les réflexions de Corinne Morel Darleux sur l’effondrement de notre super société, j’ai foncé, il y a quelques semaines chez la librairie Le vent Délire. Je pensais devoir le commander car il a été publié aux éditions Libertalia en juin 2019. C’était sans compter sur l’incroyable sélection de ma libraire préférée : elle l’avait en rayon ! J’ai donc pu me plonger instantanément dans ce recueil au titre métaphorique et poétique. Dont le sujet titillait ma sensibilité, mes humeurs.

Plutôt couleur en beauté que flotter sans grâce est un essai de la militante écosocialiste rédigé à la première personne. Corinne Morel Darleux livre ses réflexions pragmatiques et poétiques quant aux solutions pour limiter l’effondrement inévitable de notre société de consommation capitaliste. Et pour repenser notre quotidien, notre éthique afin de préserver notre humanité, au sens environnemental et sociétal, Corinne Morel Darleux s’appuie des maitres spirituels, comme l’écrivain Romain Gary ou plus étonnant le navigateur Bernard Moitessier.
Un guide
Sa réflexion et cet essai partent de la lecture de La longue route, le récit autobiographique du périple du navigateur pendant la première course autour du monde en solitaire du Golden Globe, en 1968. Alors qu’il était sur le point de réaliser un exploit, de remporter la course, le navigateur a choisi de ne pas rentrer, de ne pas gagner cette course.
J’avais envie d’aller là ou les choses plus simples. (…) Je n’en peux plus des faux dieux de l’Occident toujours à l’affut comme des araignées, qui nous mangent le foie, nous sucent la moelle. Et je porte plainte contre le monde moderne, c’est lui le monstre. Il détruit notre terre, il piétine l’âme des hommes. »
La longue route, Bernard Moitessier
Plus qu’une fuite ou un coup de tête, la décision murement réfléchie de Bernard Moitessier se caractérise par le refus de parvenir. Avec ce livre, La longue route, Corinne Moral Darleux trouve un guide, une figure qui ne peut plus la décevoir. Et sa philosophie, refuser de parvenir devient le point de départ son l’essai.
Le refus de parvenir
Qu’est ce que le refus de parvenir ? L’auteur nous rappelle que ce concept jusque là développé dans les milieux anarchistes et libertaires avait avant tout une portée égalitaire et collective. Qui signifiait rester à sa place pour poursuivre la lutte. Mais ce refus représente également un affranchissement individuel via le dépouillement, une émancipation de la tutelle ou de l’autorité.
Et aujourd’hui, l’auteur propose d’envisager le refus de parvenir pour cesser de nuire, transformer les différences individuelles en force collective. Pour développer son propos passionnant, l’auteur ne cesse de le rapprocher de la philosophie du navigateur, légende malgré lui. Elle distingue le héros de la victime en expliquant le concept d’intention, la nuance entre choisir de vivre dans le dénuement et le subir. Loin d’être un essai rédigé par une partisane de la gauche caviar, Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce, ne laisse pas de côté les plus démunis, victimes malgré elle de notre système.
L’auteur croit au progrès social qui offre la possibilité de choisir plus qu’à l’égalité des chances qui pour elle représente une fable. Cette liberté de choisir dépend des conditions matérielles évidemment mais également de l’éducation. Le refus de parvenir ne devient possible que si chaque personne a la capacité de s’interroger. Il n’implique pas forcément la rébellion ou l’action mais au moins d’être en mesure de se poser la question, de savoir que le choix est possible.
Reprendre sa vie en main
Écrit et publié il y a quelques mois, cet essai prend encore plus résonance aujourd’hui… Invitation à réfléchir et choisir. Se détacher de la nouveauté à tout prix, des réseaux. Reprendre le temps de la réflexion, de la contemplation et non de l’émotion instantanée ou de réaction impulsive. Ce recul, cette réflexion permet de reprendre sa vie en main : ne plus suivre le chemin tracé par notre éducation, notre société et le subir, être malheureux. L’auteur invite chacun de nous à analyser ce qui nous fait ruminer, râler, ce qui nous fatigue, ce qui nous rend malade afin de trouver des solutions et agir.
Changer sa perception
Corinne Morel Darleux ne nous enjoint pas à entrer en révolution, tout quitter ou tout foutre en l’air. Elle présente sa réflexion personnelle et stimule ainsi notre perception de l’existence au sens large et du quotidien en particulier. Comme changer certains aspects de sa vie, envisager les choses autrement. L’auteur nous rappelle l’importance de la perception, celle de reprendre la main pour se sentir bien et ressentir de la joie. La capacité de réflexion c’est l’analyse mais également la capacité d’imagination. Et pour contrer cette machine à broyer l’imagination qu’est notre système, elle cite avec pertinence – dans l’absolu et encore plus aujourd’hui – Françoise héritier.
Il y a une forme de légèreté et de grâce dans le simple fait d’exister, au-delà des préoccupations, au-delà des sentiments forts, au-delà des engagements, et c’est de cela que j’ai voulu rendre compte. De ce petit plus qui nous est donné à tous : le sel de la vie. »
Le sel de la vie, Françoise Héritier.
Le déterminisme social et culturel n’exonère pas de son libre arbitre, il ne doit pas empêcher de réinvestir sa souveraineté, passer de la soumission à l’action. Dans les 100 pages de cet essai, Corinne Morel Darleux – à l’image du titre – n’hésite pas à utiliser des métaphores poétiques pour imager son propos.
Le refus de parvenir c’est comme faire quelques pas de côté. »
Chacun peut faire son pas
Et chaque pas de côté de chaque individu a la capacité de bouleverser notre modèle voué à l’échec, aura une incidence sur la réalité de l’effondrement. Plutôt que de son fondre dans une seule pensée, un dogme unique comme elle l’a fait elle même pendant son investissement politique, l’auteur croit désormais à l’archipellisation. Plutôt que d’attendre que le système des partis, des mouvements politiques fonctionnent – alors que cela n’a jamais été le cas – elle propose à chacun de résister et ainsi de multiplier les blocs de résistance. Encore une idée intéressante et passionnante. Car réaliste et non culpabilisante, respectueuse de chacun. Et qui replace l’individu au cœur du fonctionnement du collectif !
Retrouver un éthique
L’horizon c’est l’effondrement ? Pour que cette idée ne plombe pas notre présent, il s’agit de retrouver du sens dans l’existence malgré cette perspective. Et pour cela Corinne morel Darleux propose une éthique la dignité du présent, une éthique de résistance et de décroissance. C’est comme l’appelle l’auteur si joliment une « boussole éthique ». Pour trouver le juste chemin, celui qui vous fait du bien sans nuire aux autres, une sorte d’optimisme éclairé, bienveillant et respectueux.
Ce livre ne fait que 100 pages mais je pourrai vous en parler des pages tant cette lecture a raisonné en moi. Il y a quelques mois à la première lecture. Et encore plus aujourd’hui dans notre contexte…
Une élue qui réfléchit
Merci infiniment pour ces réflexions Corinne Morel Darleux. Militante écosocialiste et chroniqueuse régulière pour Reporterre, elle a été l’une de cofondatrices du Parti de Gauche, dont elle a été Secrétaire nationale en charge de l’écologie puis du développement de l’écosocialisme à l’international avant d’en quitter la direction en novembre 2018. Elle est également élue, Conseillère régionale en Auvergne Rhône Alpes. Ils ont de la chance d’avoir une telle élue dans cette belle région ! Depuis 10 ans elle a tenu un blog puis a eu envie de changement en 2019. Elle écrit donc ses billets désormais sur Revoir les lucioles. Encore une lecture saine pendant la crise sanitaire pour ne pas perdre son esprit critique !

Libertalia, pirates de l’édition
Cet essai Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce est publié aux éditions Libertalia. Maison d’édition indépendante qui existe sous forme associative depuis 12 ans et placée sous le drapeau des pirates. Car elle tient son nom de la république égalitaire fondée au nord de Madagascar fin 17ème par un bourgeois passé pirate et un prêtre défroqué aux idées révolutionnaires ! Un nom symbolique qui désigne une maison prompte à publier des livres différents et intelligents. Quitte à prendre le risque « d’armer nos esprits afin de nous aider à vivre dans un monde plus libertaire et plus égalitaire. » Littérature classique et contemporaine, essais qui bousculent les idées préconçus et les esprits étriqués. Profitez du confinement pour découvrir ce catalogue, l’éditeur offre actuellement des versions numériques de certains de ses titres.
Cet essai remarquable, court et riche à la fois, loin de nous assommer quant à l’effondrement, ouvre des portes. Des fenêtres pour laisser passer la lumière. Pour mieux vivre aujourd’hui et demain. Ce guide philosophique et humaniste vaut la modique somme de 10 € en version papier. Et 5,49 € en version ePub. Ce serait dommage de se priver.
Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce, Réflexions sur l’effondrement, de Corinne Morel Darleux, Éditions Libertalia, 104 pages, 10 € (5,49 € en numérique).