Journal d’un isolement
Se confiner : S’enfermer, être enfermé dans un lieu (Larousse). Cela fait 55 jours que je tiens ce journal de cette période si particulière. J’ai souvent essayé de me mettre à la place de gens vivant dans un pays en situation exceptionnelle comme la guerre, la famine, un système politique différent. (oui la notion d’empathie va loin chez moi). Si nous ne sommes pas arrivés à ces extrêmes, le chamboulement de nos vies m’a donné envie de l’écrire, de garder une trace. Cet exutoire a permis aussi de garder le lien malgré l’isolement. Je clos aujourd’hui nos 55 jours de confinement.
Jour 53
Vendredi 8 mai
À l’inverse d’une majorité de français au chômage technique qui ne fait plus la différence entre les jours de la semaine et les week-end, j’accueille ce jour férié avec grand plaisir.
Violette passe le pont chez son papa. Commence donc une vrai pause de l’école à la maison, de la logistique enfant et du boulot. Ce vendredi se déroule comme un samedi : ménage, rangement et loisirs. Je profite au maximum de l’heure autorisée de sortie avec le poilu.
L’après-midi, c’est Joseph qui s’y colle. Parce que le chien a besoin de deux promenades. Et parce que ça fait prendre l’air à mon ado, l’éloigne de son écran… Mais depuis une semaine, le poilu fait de la résistance. Il se réjouit de voir la laisse puis se calme quand il s’aperçoit que je ne viens pas. À force de motivation, il finit par sortir. Mais jamais longtemps. Ils reviennent au bout de quelques minutes car il refuse d’avancer et fait marche-arrière…
Dépendance affective
Depuis que j’ai adopté ce chien il y a presque 5 ans à la SPA, je suis consciente que nous développons tous les 2 les symptômes de la dépendance affective. Lui parce que je l’ai sorti du refuge et d’une vie antérieure où il semble avoir été battu. Moi parce qu’il est arrivé au moment de ma séparation avec le papa de Violette. Pour toutes ces raisons, j’ai décidé à l’époque de n’appliquer aucune des règles de bon sens quant à la vie avec un chien. La seule consigne était le plaisir.
Il a par exemple le droit de se coucher sur le canapé et dans mon lit. Psychologiquement, cette proximité nous fait du bien à tous les deux. Son caractère non dominant fait qu’il n’en abuse pas. Sur le plan hygiénique, cela nécessite plus de ménage et un changement de linge de lit plus fréquent. Mais comme j’adore la sensation des draps propres, je ne me plains pas. Et la maison n’a jamais été aussi propre depuis que nous avons le poilu. Vous passez l’aspirateur tous les jours sur le canapé, vous ?
Déconfinement canin
Comme il est bien calmé après ses escapades quotidiennes en pleine nature et super sage, je peux l’emmener partout. Au bureau, en rendez-vous, en course, en vélo. Nous sommes rarement séparés. Donc en totale fusion. Je lis dans son regard son amour infini. Je lui parle comme une mamie à son chat. Nous sommes beaucoup l’un pour l’autre. Nous nous sommes sauvés. Je comprendrais que vous ne compreniez pas. Ou que vous trouviez ça ridicule. Moi-même – réputée pour mon regard critique hyper développé – je nous trouve parfois absurdes. Enfin, surtout moi. Mais au diable les conventions, on se fait du bien.
La vie quotidienne nous impose parfois des séparations. Ce n’est plus vraiment le cas depuis le confinement. Et le poilu en a profité pour développer à l’extrême ce lien de dépendance. Il faudra par conséquent penser à le déconfiner en douceur pour ne pas le faire souffrir…
Bilan du jour
Bricolage : ménage, repassage (juste pour Joseph à cause de son allergie aux acariens car je suis allergique au repassage). Mais aussi grand rangement : toujours dans l’optique de déménager, j’ai établi un plan de tri et rangement de toutes les étagères et placards de la maison. Comme tout le monde, je le fais (un peu) à chaque saison. Là, c’est un plan d’envergure. C’est parti ! Broderie sur un t-shirt et tricot l’après-midi.
Cuisine : risotto aux asperges et champignons. C’est la pleine saison des asperges dans les Landes. Je les fais souvent froides avec une bonne vinaigrette. J’avais envie de changer. Jo et moi nous nous sommes régalés. Yuri est moins fan des asperges chaudes. Je le note dans mon cahier de « J’ai 3 enfants et pas un seul qui aime les mêmes choses » !
Jour 54
Samedi 9 mai
Obligée de retourner faire des courses pour le prochain cocktail de Joseph – et oui le lycée et donc les travaux pratiques de cuisine / service ont repris -, je traîne les pieds. C’est dingue ces effets anxiogènes de la crise sanitaire et l’impact psychologique ! Au début du confinement, on avait l’impression de partir à Acapulco lorsque l’ont faisait une course. Puis, petit à petit, on s’est tous arrangé pour sortir le moins possible.
De la même manière, dès le début du confinement, je rêvais de boire un coup en terrasse. Aujourd’hui, je ne sais pas si j’en ai encore vraiment envie. Je ne pense pas être angoissée par la contamination du virus. Pourtant, je vis de plus en plus comme une recluse. Je me demande qu’elle sera notre vie déconfinée. Ce moi de mai mais aussi cet été. Et la fin d’année. Allons-nous tous revivre un jour comme avant ? Si oui arriverons-nous à savourer le luxe de nos libertés ?
Conjugaison au futur incertain
C’est la première fois depuis que nous sommes nés que nous ne savons pas de quoi demain sera fait. Cela nous est tous arrivé individuellement à un moment de notre vie. Suite à une rupture, un changement de carrière ou de configuration familiale. Mais pas de manière collective et aussi brutale. Je réalise que malgré mon attitude positive, la crise a réussi à me toucher. Comme vous, comme nous tous.
Il va falloir développer encore et encore des talents d’adaptabilité. Pour continuer à vivre autrement. Avec moins d’insouciance et plus de responsabilités. En se concentrant sur l’essentiel. Des changements dans l’ère du temps qui deviennent impératifs aujourd’hui. Et qui auront l’avantage d’être bénéfiques pour notre planète. Une fois que nous les aurons acceptés, digérés, ils nous ferons certainement le plus grand bien. Le changement, c’est maintenant !
Bilan du jour
Bricolage : poursuite du rangement / tri minutieux. Vivre encore plus légère devient un projet de vie. Tricot.
Cuisine : pain cuit à la cocotte, camembert rôti au four / salade. Avec supplément charcuterie pour les gars, ils n’ont pas – du tout – l’intention de devenir végétariens.
Lecture : alternance de Mermere d’Hugo Verlomme, éditions Actu SF et J’aurais pu devenir millionnaire, j’ai choisi d’être vagabond, de Alexis Jenni, éditions Paulsen. J’aime lire deux livres à la fois. Ces deux-là me plongent en pleine nature et dans des grands espaces chacun à leur manière. Et m’offrent un sentiment de liberté par procuration.
Compta : dépenses du mois d’avril dans mon bullet journal. Je fais ça depuis plus d’un an et cela me permet de contrôler mon budget par poste. Ce mois-ci par exemple, j’ai pu voir que notre budget alimentation a été multiplié par 2 ! La présence de Yuri et les repas du midi expliquent cette hausse. Tout comme notre tendance à compenser l’isolement par la cuisine et la nourriture… Je constate aussi que ces dépenses représentent plus que le budget habituel alimentation et cantine. Normal, les commerces de bouche ne m’appliquent pas une remise en fonction de mon coefficient Caf…
Jour 55
Dimanche 10 mai
On termine ce week-end et le confinement par une alerte orage avec risque d’inondation. Effectivement, en fin de journée hier, on a eu le droit à un bel orage suivi de trombes d’eau. Il pleut encore beaucoup ce matin. Je surveille une accalmie pour sortir le poilu. Phobique des coups de tonnerre, il se remet de sa nuit difficile en ronflant sur le canapé. La balade n’est pas urgente.
Je profite de ce temps gris pour poursuivre le rangement le matin. Pendant que Yuri termine sa nuit, brunch ensuite en tête-à-tête avec Joseph. puis, promenade humide avec le poilu qui se réjouit de la chute des températures. Avant le retour de Violette, je me mets à la couture de pochettes pour ranger les lingettes démaquillantes fait-maison. Cela faisait plusieurs jours que j’y pensais mais le beau temps m’incitait à préférer la broderie ou le tricot réalisables dans le jardin.
Loisirs de mamie
Plus je vieillis et plus j’apprécie ces tâches manuelles. Elles nécessitent une pleine attention qui vide la tête des soucis. Met en pause les ruminations. Et la satisfaction de fabriquer quelque chose de concret participe aux effets bénéfiques. Parfois, en cas d’humeur maussade, prendre des aiguilles se révèle plus efficace sur le moral que la lecture. J’ai 45 ans et des loisirs de retraités. J’aime la solitude. Des penchants à contre-courant de l’ambiance générale dans les Landes, terre de surf, festivals et concerts.
N’empêche qu’en confinement, ces passions m’ont permis de garder la tête hors de l’eau. Je compte bien les poursuivre après. Je souhaite comme tout le monde que cette période si particulière s’achève pour que la vie reprenne son cours. Et qu’il n’y ait pas de deuxième vague d’épidémie. Broder, coudre, tricoter représente le fil rouge de mon quotidien avant, pendant et après le confinement. Et si les choses rentrent dans l’ordre, ces loisirs ont le mérite de me préparer à une retraite équilibrée dans quelques années. Je suis prête !
Bilan du jour
Cuisine : œufs brouillés, pancakes.
Célébration : de notre dernier soir tous les 4. Violette est rentrée et Yuri repart demain à Bordeaux pour bosser. Je commande à emporter chez le fast food local pour leur faire plaisir. On fête aussi le rangement de sa chambre, demandé le premier week-end de confinement et réalisé aujourd’hui… J’ai glissé des masques, du gel hydroalcoolique et des recommandations dans son sac. Il m’écoute en souriant. Il a bientôt 19 ans mais sera toujours mon bébé.
Projets post confinement : poursuivre l’école et le travail à la maison. Trouver un rythme de vie qui nous met à l’abri des risques sans devenir parano. Arrêter ce journal pour reprendre des billets thématiques en lecture, bricolage, cuisine et humeurs. Revoir mes amis et ma famille. Restez positive.