Journal d’un isolement
Se confiner : S’enfermer, être enfermé dans un lieu (Larousse). L’impact psychologique de la 7ème semaine de confinement additionné à l’incertitude du déconfinement pèse sur le moral. On s’accroche coûte que coûte. Malgré les cons et la pression.

Jour 42
Lundi 27 avril
Depuis le début du confinement, j’ai le sentiment d’être en pause. Pourtant, entre le travail, l’école à la maison et l’alimentation de 4 personnes, je suis loin de chômer. Mais la notion de temps a changé. La distanciation sociale permet une reprise en main de nos emplois du temps. Et l’incertitude de l’avenir provoque une suspension de la vie. Malgré cette impression de flottement, le temps passe encore plus vite qu’à l’accoutumée. Les jours et les semaines défilent. La 7ème semaine de confinement débute. Et j’ai l’impression que c’est la seconde…
Que faire des cons ?
Après une bonne nuit de sommeil, je me remets au travail avec plaisir. Les projets avancent, je m’adapte à l’incertitude, trouve de nouvelles idées. Cette matinée de labeur agréable provoque l’arrêt définitif de mes ruminations sur les méchants cons et ma manière de les gérer. Je garde en tête de me replonger dans Que faire des cons, Pour ne pas en rester un soi-même, l’essai de Maxime Rovere. Une piqûre de rappel ne fera pas de mal pour la prochaine fois.
Confinement carnivore
Avant de me remettre au travail l’après-midi, je fais une pause cuisine. Le plat a besoin de mijoter. C’est parti pour des joues de bœuf à la moutarde et au Cognac à partir de la recette Papilles et Pupilles. Les garçons ont envie de viande. La recette est simple. Je n’ai pas tous les ingrédients mais au moins le bœuf, la moutarde et le Cognac, c’est le principal. La cuisson longue en cocotte rend la viande extra fondante. Bref un régal que je prends plaisir à préparer.
Au moment de la dégustation le soir, j’apprends à Yuri – qui vient de se lever – que notre Premier ministre va annoncer le plan de déconfinement demain à 15h. Il s’étonne de cet horaire : « Il veut faire ça en toute discrétion ? Que les gens ne l’écoutent pas ? ». Son second degré à propos de son rythme de vie nous fait beaucoup rire.
Bilan de la journée
Boulot : au top, pourvu que ça dure.
Cuisine : les joues de bœuf.
Petits plaisirs : éplucher et couper carottes, oignons, viande, herbes à 14h un lundi.
Bricolage : Il me reste de la laine pour faire un pull à Violette mais je m’impose d’abord de finir tous les projets en cours et inachevés, une mauvaise habitude. Je me remets donc à la broderie.
Jours 43
Mardi 28 avril
Matinée classique de confinement : boulot, balade en forêt. À 15h, Yuri se lève ! Il a mis son réveil pour écouter le Premier ministre. Après son discours, nous restons mitigés. Sur la réouverture des écoles. Et sur toutes ces propositions conditionnelles et conditionnées aux nombres de cas avant le 11 mai. Pour la reprise des lycéens, dont Joseph fait partie, le gouvernement ne se prononcera qu’à la fin du mois de mai. Je me demande l’intérêt de les faire reprendre en juin. Et commence à envisager qu’il termine son année à distance.
Reprise de l’école ?
Les bars et les restaurants restent fermés mais les écoles rouvrent ? Pour Violette en CM1, elle pourrait reprendre en mai. Si cette proposition de reprise a le mérite de ne pas laisser sur le carreau les enfants en situation difficile (maltraités ou en décrochage scolaire), elle favorise à nouveau la propagation du virus.
Même avec des effectifs de 15 enfants par classe, il est impossible pour un enseignant ou un personnel d’animation de leur faire respecter les distances. Ce sont des enfants de 3 à 10 ans donc des êtres mobiles et tactiles. À qui il va falloir demander de se reculer toutes les minutes, de ne pas se toucher ou toucher la table du voisin. Tout en assurant la classe, l’hygiène et l’école à distance pour les élèves restés à la maison. Si les membres du gouvernement s’occupaient d’enfants, ils sauraient que c’est impossible. Et ce ne sera pas de l’école mais de la garderie.
Avec jardin et sans plage
D’autres dispositions me semblent contradictoires. Les parcs et jardins pourront être à nouveau fréquentés mais pas les plages… Sur quels critères objectifs arrivent-ils à différencier ces étendues naturelles et y appliquer deux régimes ? Surtout, ils n’ont pas dû avoir vent des bienfaits de l’air marin et de la pratique d’activités sportives marines pour renforcer son immunité. Je me désole pour les surfeurs, les écoles de surf.
Réorganisation de la vie
Comme nous ne sommes pas du genre à ruminer pendant des heures, nous réfléchissons à l’organisation qu’implique cette reprise potentielle en mai. Yuri, qui travaille dans les restauration, est au chomage technique depuis le début du confinement. Il a été rappelé il y a quelques semaines par son patron pour une reprise du travail suite à la mise en place des livraisons de repas. Mais confinement oblige, Yuri n’a pu revenir à Bordeaux. Nous essayons donc de trouver une solution pour son retour le 11 mai.
Pour le travail, je fais le point sur tous les projets. Comment les poursuivre dans ces conditions, selon quelles échéances. Et avec qui. Bref, on s’adapte. En restant optimiste. Mais avec une pointe d’angoisse sur les mois à venir. À propos de la situation financière mais de l’impact psychologique aussi de l’isolement, de la crise. Il va falloir être fort.
Bilan de la journée
Boulot : avancer, avancer.
Cuisine : boudin noir, pommes de terre, pomme. Le genre de repas que nous ne faisons que lorsque Violette n’est pas là.
Ravitaillement : faute d’avoir pu conclure un drive – le paiement en ligne ne fonctionnait pas – je suis allée dans le petit supermarché du coin pour tous les produits que je ne peux pas trouver chez les petits commerçants. Uniquement des produits consommés par les enfants. Je me projette lorsqu’ils seront grands et que je ne mettrais plus un pied en supermarché. Oui je vois loin !
Jour 44
Mercredi 29 avril
En très grande forme. Suite à ma confrontation désagréable avec le monde extérieur dimanche et passée la période de rumination, j’envisage de déménager. Ce n’est pas une fuite, je sais que l’herbe n’est jamais plus verte à côté. C’est un besoin de changement, latent depuis plusieurs années. Mis de côté par manque de courage et qui m’apparait aujourd’hui faisable. Je reste réaliste, cela ne sera pas dans un futur proche. Mais cette nouvelle perspective m’allège et me booste. Je réalise une fois de plus que les expériences de vie négatives sont riches d’enseignement et débouchent souvent sur des éléments positifs.
Violette revient ce soir, je profite de cette journée de travail sans elle pour avancer au maximum. Car si elle est encore en vacances et que je n’ai pas à faire la maîtresse, se concentrer quand elle me parle ou me sollicite toutes les 5 mn se révèle compliqué.
Travailler en famille
Les rapports professionnels ont d’ailleurs beaucoup évolué depuis le confinement. Ayant l’habitude de travailler à la maison, j’ai toujours fait en sorte de m’isoler pour passer un coup de fil afin que mon interlocuteur ne perçoive pas la sphère familiale. Avec le télé-travail imposé par la crise, ce genre de précautions n’est plus de mise.
J’ai eu une conversation de plusieurs minutes avec une femme aujourd’hui et j’ai dû lui faire répéter ses réponses plusieurs fois. Les cris de ses enfants couvraient un mot sur deux… Cela ne semblait pas la gêner et m’a beaucoup amusée. On revient à des rapports plus honnêtes, sans faux-semblants. Cela m’arrange, j’ai toujours eu du mal à me glisser dans le costume de la pro ultra sérieuse. Pourvu que ce formalisme détendu perdure…
Bilan de la journée
Boulot : on avance…
Jardinage : J’ai taillé des bambous et commencé à creuser pour enlever leurs racines. Une mission physique et compliquée. Mais les coups de pioche et de pelle me défoulent.
Cuisine : C’était le tour de Joseph. Oui chez nous, les hommes cuisinent pendant que les femmes s’occupent des gros travaux.
Bricolage : J’ai craqué… Mes vieux yeux ne me permettent pas de broder le soir. J’ai donc démarrer un nouveau pull pour Violette avec des restes de laine.
Jour 45
Jeudi 30 avril
Tout en profitant de ce dernier jour travaillé sans école à la maison, je rumine le déconfinement. L’école a sondé les parents d’élèves pour savoir si nous comptions remettre nos enfants à l’école. Sans même mentionner quelles mesures de précaution ils envisageaient de mettre en place. Dans ces conditions, comment me décider ?
Une fausse reprise
Pour le travail, ce semblant de reprise le 11 mai, m’impose également de concrétiser des projets en pause. Pourtant, de nombreux professionnels ne sont pas autorisés à reprendre leur activité : bars, restaurants, salles de spectacles, écoles de surf, hébergements touristiques. Difficile là encore de reprendre vraiment. Pourtant, je dois avancer.
Nous avons subi cette période de pause inquiets de l’avenir. Nous devons maintenant reprendre le cours de la vie mais au ralenti. Avec, latente, cette inquiétude de parvenir. Et l’angoisse de propagation du virus. Et d’un nouveau confinement. La pression se révèle finalement plus forte au déconfinement.
Espoir vs angoisse
En faisant quelques courses, j’ai croisé des commerçants, des restaurateurs, des professionnels du tourisme et du spectacle. Tous sont abattus. Ils ne savent pas s’ils pourront se remettre de cette crise. Ils travaillent pour s’adapter aux précautions sanitaires. En investissant dans du matériel pour envisager une reprise. En dépensant de l’argent qu’ils n’ont pas et sans savoir s’ils ne vont pas participer à la reprise du virus ou subir de nouvelles fermetures.
La fin du confinement tant espérée représentait une lueur d’espoir. Elle se transforme en source d’angoisse. Lire le journal d’un ambulancier au front m’a beaucoup touchée. Et fait relativiser. La théorie de la relativité fonctionne toujours. Nous allons devoir plus que jamais rester optimiste, nous adapter. Faire attention aux uns et aux autres. Faire taire ou apaiser notre colère, nos inquiétudes pour avancer tous ensemble. Se réinventer. Comme ce mot « déconfinement » qui n’existait pas et que mon correcteur orthographique continue à souligner. Au boulot.
Bilan de la journée
Boulot : plus que jamais, je m’accroche à mon bullet journal pour enchaîner les missions et cocher les cases… Yuri se prépare à rentrer à Bordeaux le 11 pour reprendre le boulot. Sa copine étudiante ne sera pas autorisée à le suivre. Vivre seul, travailler, sans voir d’amis, tous restés dans les Landes. Je sens que cette perspective ne le réjouit pas. Mon bébé…
Cuisine : nouveau pain cuit à la cocotte avec un mélange de farine de petit épeautre et semi-complète. Yuri passe en cuisine le soir.
Bricolage : Courbatue des coups de pioche et de pelle hier, je fais une pause de la mission bambou. Et reprends le tricot du pull de Violette. Apaisant.