Article 353 du code pénal de tanguy viel

Roman sublime sur Le sens de la responsabilité

J’avais manqué Article 353 du Code Pénal, le roman de Tanguy Viel paru en janvier 2017 aux éditions de minuit. Il avait obtenu la même année le Grand Prix RTL Lire. Je me suis rattrapée cette année grâce à la sortie en format poche dans la très classe collection Minuit Double des Éditions de Minuit.

Direction le Far West et plus exactement le Finistère. Le anti-héros de Tanguy Viel, Martial Kermeur, vient d’être arrêté par la police pour avoir jeté à la mer le promoteur immobilier Antoine Lazenec. S’ensuit un huis clos avec le juge d’instruction devant lequel il est déféré. Tête-à-tête au cours duquel Martial Kermeur retrace les événements qui l’ont conduit à balancer cet homme à la mer. Comment cet homme méfiant, divorcé, licencié a confié au promoteur son indemnité de licenciement pour un projet immobilier censé faire revivre la presqu’île économiquement et moralement sinistrée.

confession d’un coupable victime

On sait dès le début du roman qui est l’assassin et qui est la victime. Le déroulé de l’intrigue nous explique les circonstances de ce drame et fait basculer les statuts de victime et coupable. Martial Kermeur, Breton taiseux se plonge dans un monologue sans faux-semblants. Il confie au juge ce qu’il n’avait jamais osé dire à personne, les tourments, la culpabilité et la colère qui l’ont brisé pendant des années, lui, sa famille et la presqu’île. Une confession tardive : « la ligne droite des faits, c’était comme l’enchaînement de mauvaises réponses à un grand questionnaire ».

Une confession volubile, de longues phrases ponctuées de points virgule, seules respirations. Après s’être tu pendant des années, Martial Kermeur se délivre dans la parole. Qui contient toute la lassitude, les échecs, les regrets de cet honnête homme, imparfait mais droit… Qui n’a trouvé d’autre issue que de balancer un homme à la mer pour se libérer de ses tourments. Avec ce monologue, Tanguy Viel place le lecteur dans la position du juge.

bout d’humanité oubliée

Au delà du drame, Article 353 du Code Pénal est un portrait social d’un bout de France mourant et oublié… D’hommes et de femmes isolés sur le plan géographique mais aussi économique et culturel. Ils rament avec pour décor un ciel tantôt lumineux tantôt brumeux.

Dans ce nouveau roman Tanguy Viel ne se contente pas de faire écho d’un fait divers. Il choisit une narration plus visionnaire qu’à l’habitude. À travers la version du héros, nous découvrons une réalité profonde, qui va au delà de sa culpabilité immédiate. Après L’Absolue perfection du crime (Minuit, 2001 et « double », 2006), Insoupçonnable (Minuit, 2006), Paris-Brest, roman (Minuit, 2009), l’auteur poursuit son exploration de l’humanité, du destin, des chemins qui conduisent au bien et au mal, de la responsabilité individuelle. Avec dans ce roman, le drame qui donne le ton. Né à Brest en 1973, Tanguy Viel a publié son premier roman Le Black Note en 1998 aux Éditions de Minuit qu’il n’a plus quitté.

lumineuses éditions de minuit

Je suis fan de cette maison d’édition qui se concentre sur les textes avec des couvertures de roman toujours identiques – fond blanc, typo bleu -. Sobres et classes. On doit notamment aux éditions de Minuit la publications d’œuvres d’Aragon, Mauriac, Éluard, Marguerite Duras… Et plus récemment Jean Échenoz, Éric chevillard, Jean-Philippe Toussaint, Yves Ravey… Bref une maison indépendante, curieuse qui doit son nom aux conditions de sa création, dans la clandestinité en 1941. Et dont le premier titre publié était Le silence de la mer de Vercors. Je n’ai jamais été déçu par un de ses auteurs. Et j’ai plaisir à découvrir les premiers romans qu’ils proposent.

Fidèle à cette maison, Tanguy Viel construit une œuvre embrumée et brillante. À travers les destins d’anti-héros crachant leur vérité, victimes de la vie, d’eux-même et des autres, tentant de s’affranchir de leurs poids. C’est encore le cas avec le brillant Article 353 du Code Pénal. Roman qui en outre contient une dimension sociale réaliste et universelle. Je ne vous explique pas le titre du roman – qui n’est pas très engageant je vous l’accorde -. Car il contient la chute de l’intrigue. Mais je peux vous donner un indice : Tanguy Viel a expliqué dans une interview que le roman aurait pu s’appeler intime conviction…

Article 353 du Code Pénal, de Tanguy Viel, collection Minuit double, Les Éditions de Minuit, 8 €.

Les Garçons de l’été, de Rebecca Lighieri, Editions P.O.L

Quand la chronique de mœurs vire au thriller

Parmi les romans lus cette année, j’ai adoré Les Garçons de l’été, de Rebecca Lighieri. Paru en janvier 2017 chez les éditions P.O.L, son titre m’a incité à le faire patienter gentiment dans ma « PAL » pour faire partie de mes lectures d’été. Et suite à un – léger – retard dans mes chroniques de livres… là voilà !

Les garçons de l'été de Rebecca Lighieri aux éditions POL : Chronique

Les Garçons de l’été, ce sont Thadée et Zachée, deux jeunes et beaux garçons d’Hossegor, deux dieux du surf. Ils ont grandi dans le Sud des Landes, la « Landifornie » dans une famille au train de vie confortable. Ils ont été bichonnés et sont admirés pour leur beauté, leur assurance, leur lifestyle de surfeur. Jusqu’au jour où, lors d’un surftrip à La Réunion, Thadée est victime d’une attaque de requin et se retrouve mutilé.
La vie de rêve de cette famille bien sous tout rapport s’effondre. L’auteur Rebecca Lighieri fait basculer son roman plutôt chronique de mœurs en thriller oppressant. Et c’est magistralement réussi.

Famille riche d’Hossegor cherche… humanité

Je dois vous avouer que dès le début du roman, j’ai été agacée par les personnages. Mylène, la mère au foyer bourgeoise, si dévouée à ses enfants qu’elle devient ridicule tant son amour maternel est aveuglant. Le mari, pharmacien, de prime abord gentillet. Puis finalement médiocre au vu de son manque d’implication dans sa vie paternelle et matrimoniale qu’il comble en trompant sa femme. Et les 2 garçons. Pétris de nonchalance, immaturité, arrogance, dans leur manière d’être, de gérer les rapports humains ou d’envisager leur vie. Considérés comme des demi-dieux par leur mère, les deux frangins sont loin de me faire rêver comme progéniture… Bref, un magnifique stéréotype de la famille CSP+ d’Hossegor. Et je peux vous dire que, lorsque l’on vit près d’Hossegor, un tel portrait de famille a de quoi agacer : j’en croise assez dans le Sud des Landes pour ne pas avoir envie de lire leurs mésaventures…

Tragédie grecque

Donc j’avance dans la lecture de ce roman qui s’annonce comme un drame familial en sourcillant parfois. Et petit à petit, au fil des pages, ce livre qui sent bon les embruns, le surf et l’été me happe. Car cette chronique familiale se transforme en tragédie grecque. Je ne vous en dis pas plus pour vous laisser profiter du suspens. Mais la plongée de l’intrigue dans le noir (très noir) rend addictive la lecture. L’auteur malmène ses personnages de toutes parts. Agaçants dans les premiers chapitres, la déchéance de ces êtres médiocres finit par nous faire éprouver une certaine empathie. Ils payent cher leur arrogance ou leur lâcheté. Et cette réinterprétation moderne du mythe d’Abel et Caïn sublime férocement nos contradictions, notre égocentrisme. Elle balaye à la manière d’un ouragan nos manies insupportables d’êtres humains modernes.

Je n’ai pas été surprise à la lecture d’une interview de l’auteur dans Les Inrocks de découvrir que Rebecca Lighieri avait à l’esprit deux références cinématographiques pendant l’écriture du roman : Endless summer et Stephen King. Car on retrouve bien dans son œuvre l’insouciance et l’obsession du surfeur égoïste en quête de la vague parfaite traitées dans le film de Bruce Brown. Mais également l’angoisse suscitée par les dérapages humains propre à la littérature de l’auteur américain.

Un auteur, deux genres littéraires

Rebecca Lighieri est le pseudo de Emmanuelle Bayamack-Tam, auteur d’un dizaine de romans dont La princesse de. et de Je viens. Sous son nom d’emprunt Rebecca Lighieri, elle avait déjà publié Husbands et une nouvelle. Elle choisit son nom d’auteur selon le genre du roman. Emmanuelle Bayamack-Tam pour les histoires plus poétiques, Rebecca Lighieri pour les romans noirs. Le ton et l’écriture changent aussi. Rebecca Lighieri va droit au but et ne s’encombre pas de figure stylistique. Son style est direct, percutant. Il est là pour accompagner l’aspect essentiel du roman : le noir, l’intrigue, l’horreur.

Fiction moderne et universelle

Les Garçons de l’été se révèle donc une réussite assez étonnante : une littérature noire qui met en lumière les aspects les plus sombres de notre humanité dans un décor de rêve. Un roman qui ne s’encombre pas de fioritures pour dépeindre le côté le plus animal de l’homme, dans sa sexualité, son agressivité, l’image qu’il renvoit. Une fiction captivante qui dérange souvent mais séduit par la finesse et la justesse du propos.

Rebecca Lighieri est une visionnaire pertinente des travers de notre monde : la dislocation des liens, la disparition de l’empathie, le repli sur soi. Les monologues de ses personnages accablants résonnent comme des tragédies, sans poésie, en toute cruauté. Moderne, ce roman se trouve dans l’actualité car il aborde indirectement la « crise requins » qui agite l’île de La Réunion. Universel, il peint les dérives de l’homme contemporain de moins en moins dans l’humanité. Une histoire violente, dérangeante mais indispensable à notre survie dans ce monde de brutes occidentales !

Les Garçons de l’été, de Rebecca Lighieri, 448 pages, 19 €, Editions P.O.L
Prix littéraire de la ville d’Arcachon 2017

Aquarium, de David Vann : roman singulièrement brillant

La lumière au bout de l’aquarium

Aquarium, le cinquième roman de David Vann détonne dans l’œuvre de l’auteur américain par sa luminosité. Une merveilleuse LECTURE !

J’ai lu tous les romans de David Vann. Et à chaque fois, la publication d’un nouveau me procure toujours un mélange d’excitation de lecture et de crainte d’être déçu par un auteur que je vénère. Ouf, ce n’est toujours pas le cas avec Aquarium, son cinquième titre traduit en France.

 

Aquarium, c’est l’histoire de Caitlin, 12 ans, qui vit avec sa mère dans une banlieue de Seattle. Cette mère célibataire fait comme elle peut pour joindre les deux bouts et concilier travail, maternité et parfois vie de femme. Elle travaille tard et sa fille l’attend tous les soirs à l’aquarium où elle passe des heures pour assouvir sa passion pour le monde marin et les poissons. Le roman contient d’ailleurs des illustrations de poissons et autres espèces marines. Des dessins de l’auteur lui-même j’imagine, je n’ai trouvé aucun crédit.

 

Elle y rencontre un jour un vieil homme. Et d’échanges aquariophiles en échanges philosophiques au quotidien, une amitié nait entre eux. Tout va bien dans leur modeste existence jusqu’au jour où… Comme tous les romans de l’américain David Vann, Aquarium fonctionne avec une bonne dose de suspense. Je vais donc arrêter là le déroulé de l’histoire !

 

Peinture des gens ordinaires

Mais parler du dernier roman de david vann en le cantonnant à Seattle et ses pluies incessantes, à la vie difficile de cette mère et de sa fille ou à ce vieillard baignant dans la solitude, ça ferait de ce roman, une peinture un peu glauque de petites gens. Et Aquarium, c’est tout sauf ça !

 

David Vann se révèle une fois encore une fois un incroyable peintre des gens ordinaires. Caitlin et sa mère sont seules à se débrouiller, sans argent. Pourtant, leur relation et leurs personnages rayonnent. La mère d’abord : David Vann nous dépeint une femme qui fait ce qui peut mais qui peut beaucoup. Elle pourrait apparaitre froide dans ces méthodes éducatives mais des scènes de leur vie nous démontrent subtilement son affection, une intimité, une proximité qui permet à sa fille de grandir en toute confiance.

 

La fille ensuite. Caitlin, 12 ans. Sans cercle d’amis. Et qui ne parle jamais de son apparence ou de celle des autres. Une pré ado pas comme les autres qui se passionne pour les poissons et les océans. Une gamine différente donc mais tellement passionnante. D’abord, elle n’a pas l’air de souffrir de sa différence. Surtout, elle puise dans sa passion toutes les ressources pour supporter les méandres et difficultés de l’existence. Exactement ce qu’ils manquent à tant de personnes…

 

David Vann dépeint leur existence à priori médiocre d’une manière si subtile que l’on y décèle les petites perles qui ne résument pas ces personnages à ce qu’ils semblent être. Sans jamais nous le dire, David Vann nous raconte l’histoire ordinaire d’êtres extraordinaires ! Y compris dans leurs incohérences, leurs faiblesses, leur humanité.

 

David Vann trouve la lumière

La finesse psychologique de l’auteur, c’est aussi sa capacité à se mettre dans la tête d’une gamine de 12 ans. Car c’est rarement réussi en littérature : faire parler une pré ado sonne souvent faux ou se révèle parfois pénible à la lecture.

 

David Vann ne tombe pas dans cet écueil et l’éclairage qu’il apporte est incroyable. Quand la mère apprend la relation entre sa fille et le vieil homme, elle perd son sang froid. L’écrivain décrit l’interprétation et les angoisses de la petite fille face à ses crises, un juste ressenti. Bref dans le dernier roman de David Vann, Aquarium, on n’apprend à voir le beau quand il n’est pas immédiatement décelable et on redécouvre le concept de singularité de l’être humain.

 

Enfin, ces tranches de vie critiques et ses faiblesses humaines, David Vann les transforme en conte de fées. Pour la première fois depuis que je lis ses romans, j’ai ressenti une vaste lumière. Aquarium est son 5ème roman traduit en Français et c’est le plus optimiste. Dans son premier Sukkwan Island, Prix Médicis étranger 2010, la relation père-fils tournait au cauchemar sans une once d’espoir possible. Cette fatalité se retrouve aussi dans ses titres suivants comme Désolation ou Impur. Malgré leur noirceur, j’ai adoré ces romans : haletants du début à la fin, ils me procuraient une sorte d’apaisement. Mes propres névroses, incohérences semblaient si pâles face à ces anti-héros torturés ou bourreaux.

 

Si David Vann trouve la lumière à la noirceur de l’existence dans Aquarium, je n’en ai pas moins apprécié son livre. L’auteur admet avec cette histoire de famille que le passé peut ne pas être déterminant dans une existence. Que les blessures peuvent se guérir. Parfois. Peut-être le signe que l’américain a guéri les siennes ?

 

Un fabuleux roman écrit dans une langue brillante et simple à la fois. Que l’on doit aux Editions Gallmeister, éditeur découvreur de David Vann en France.

 

A NOTER : David Vann sera présent du 31 mars au 2 avril 2017 au festival Quai du Polar de Lyon.

Aquarium, David Vann, Collection Nature Writing, Editions Gallmeister, 280 pages, 23 €.