Anne de Green Gables, de lucy Maud Montgomery

chef d’œuvre en série

Je reprends enfin le clavier pour vous parler d’un livre lu pendant les vacances de février. Une lecture bienfaitrice comme je n’en avais pas connue depuis de nombreuses années. Anne de Green Gables, de Lucy Maud Montgomery, publié aux éditions Monsieur Toussaint Louverture. Une lecture que vous ne pouvez pas quitter. Un roman que vous lisez le matin au réveil. Puis, dès que vous trouvez un moment dans la journée (quitte à en créer). Et que vous êtes heureux de retrouver le soir. Le genre de livre qui se dévore en quelques heures, quelques jours.

Anne de Green Gables et Anne de Avonlea éditions Monsieur Toussaint Louverture

Je suis une fan inconditionnelle des publications de Monsieur Toussaint Louverture. Pourtant je ne sais pas comment j’étais passée à côté de celle-là. Ce roman est sorti en octobre 2020 sans que je ne le remarque. Je ne sais pas ce que je faisais en octobre 2020, certainement pas grand chose pendant ce second confinement. Bref j’ai déconné.

J’ai fini par le découvrir en janvier cette année quand l’éditeur a annoncé la publication du second volume des aventures de Anne. Immédiatement séduite par la beauté du livre, l’illustration, les couleurs, la présentation, j’ai acheté le premier volet chez ma librairie préférée Le vent Délire à Capbreton afin de le lire avant la sortie du tome 2 le 18 février.

Fifi Brindacier dans la prairie mais en mieux

Et la magie a opéré. J’ai été complètement happée par les aventures de Anne Shirley, jeune orpheline de 11 ans adopté par un frère et une sœur. Adoptée par erreur car le vieux garçon et la vieille fille avait commandé un garçon pour les aider à la ferme. Mais leur humanité a pris le pas sur le sens pratique ; et surtout, la bonne humeur, la joie de vivre de cette petite pipelette a fini de les convaincre.

Nous sommes à la fin du XIXème siècle au Canada sur l’île de du Prince Édouard. Lucy Maud Montgomery raconte les péripéties de la fillette de 11 à 16 ans dans cette ferme de Green Gables près du village d’Avonlea. Oui, on n’est pas loin de La petite maison dans la prairie. Ou encore des 4 filles du docteur March, de Fifi Brindacier. Sauf qu’Anne de Green Gables est bien plus que ça.

Anne de Green Gables premier volet de la série de Lucy Maud Montgomery

Roman d’apprentissage et de mœurs

Ce livre est un roman d’apprentissage. On suit son éducation, son cheminement à travers sa vie de famille, sa scolarité, ses amitiés, le tout riche en rebondissements. C’est aussi un roman historique dans le sens où on y découvre le mode de vie au XIXème siècle au Canada. Les vêtements, les habitudes alimentaires, les métiers, les conventions, la politique…

Anne de Green Gables représente également un roman de mœurs car il traite de la vie insulaire, familiale. De l’amitié, celle qui apparaît comme une évidence et celle qui se gagne. De l’amour et de la fidélité qui impliquent nécessairement de parfois moins penser à soi pour prendre soin et respecter ceux que l’on aime. Il y est question de l’acception de la différence, à travers le destin de cette héroïne hors normes évidemment. Mais également via les personnages plus secondaires comme la taciturne Marilla pourtant si brave ; ou encore la moralisatrice Rachel Lynde finalement assez humble. Ce roman apprend à voir au delà des apparences à ses protagonistes et donc à nous.

Roman féministe et œuvre de nature writing

Anne de Green Gables est aussi un livre résolument féministe. Lucy Maud Montgomery l’a écrit au début du XXème siècle et le premier tome est paru en 1908 au Canada. Quelle modernité sur la place de la femme dans cette société patriarcale et parfois archaïque. L’enfant à la chevelure rousse et avec la peau couverte de tâches de rousseurs apparait parfois comme une sorcière pour les habitants. Mais c’est surtout son attitude qui lui vaut ce jugement. Elle, si libre dans ses réactions, ses envies, son rapport à la nature, ses émotions. Elle se soucie peu des conventions et représente ainsi les prémices du féminisme, de la liberté de la femme.

Enfin, Anne de Green Gables est clairement une œuvre de nature writing. La nature y tient une place centrale dans l’équilibre de la fillette, dans la vie du village et donc dans le roman. À chaque chapitre, elle est omniprésente. L’auteur ne manque pas de la dépeindre si clairement que l’on imagine les paysages et les saisons. Ces décors participent à nous embarquer sur l’île.

Anne de Green Gables : Feel good book profond

L’héroïne déborde de mots, d’imagination, de pensées, d’idées, d’envies, de romantisme, de sentiments, de joie de vivre. Elle est excessive et positive. C’est assez exaltant et inspirant. Pourtant la force du livre n’est pas que cela. Sa réussite tient dans l’équilibre délicat de cette force positive avec la part sombre de l’humanité. L’auteur utilise plusieurs nuances de gris pour raconter les difficultés de l’enfance à cette époque, la nécessaire cruauté des êtres parfois pour survivre à cette vie austère, le poids de l’éducation presbytérienne… Ces tristes réalités parfaitement distillées tout au long du livre donne encore plus de poids et de valeur à l’énergie de vivre et l’idéalisme de l’héroïne.

Dans une langue riche et poétique

Pour raconter le destin de cette héroïne, Lucy Maud Montgomery utilise un langage soutenu, à la fois sobre et paradoxalement d’une grande richesse lexicale. Jamais vous ne trouverez les mêmes adjectifs pour décrire un arbre ou une fleur. On sent que l’auteur aime les mots et jouer avec. Elle les manie si bien qu’elle nous fait les aimer aussi. Les émotions, les pensées, les intrigues, la nature, tout est précisément décrit sans lourdeur. Sans que l’on ne s’aperçoive de rien sauf à être plongé dans l’ambiance de cette bourgade et dans les aventures de Anne. Le style est si fluide qu’il résonne parfois comme de la poésie, une musique. Il mêle poésie et humour avec une grâce solaire. C’est un délice de lecture. Et je salue le travail de cette nouvelle traduction de Hélène Charrier pour l’édition de Monsieur Toussaint Louverture.

Un second volume à la hauteur

J’aurai pu être triste de quitter cette héroïne pétrie d’humanité après ces quelques heures de lecture délicieuse. Mais cela n’a pas été le cas car Anne de Avonlea, le tome 2 sortait seulement quelques jours après, le 18 février ! Depuis je me délecte des nouvelles aventures de Anne devenue institutrice à 17 ans. Je savoure ses idées modernes à propos de l’éducation, la confrontation de ses rêves avec la réalité de l’existence, je grandis avec elle. Et je prends mon temps. J’essaye de ne pas faire preuve de gloutonnerie pour apprécier tous les mots de Lucy Maud Montgomery, cette fois traduits par Isabelle Gadoin. Car il faudra patienter jusqu’au mois d’août cette année pour découvrir le 3ème volet de la série. En attendant, la densité d’émotions et de plaisir est tout aussi grande dans cette suite.

Anne de Avonlea second volume de la série de Lucy Maud Montgomery

Nouvelle édition sublime de Monsieur TOussaint Louverture

Née en 1874 et morte en 1942, Lucy Maud Montgomery est l’autrice canadienne la plus lue dans le monde. Débordant de la même créativité et énergie que son héroïne, elle a écrit plus d’une vingtaine de romans, 500 nouvelles et autant de poèmes. En France, Anne de Green Gables est paru pour la première fois en 1964 sous le titre Anne et le bonheur chez Hachette dans la collection Bibliothèque verte. Il n’a apparemment pas connu le même succès qu’outre-Atlantique. Mais c’est certainement ce malencontreux choix éditoriale à le classer en littérature jeunesse.

Heureusement cet affront a été réparé par Monsieur Toussaint Louverture qui a compris la densité de cette œuvre. Et a choisi de lui rendre hommage avec une nouvelle traduction et une édition dans un livre objet magnifique. Relié et cartonné dans la pure tradition des livres d’antan, recouvert de papier nacré dans des tons parfaits, avec une couverture illustrée par Paul Blow, illustration à la fois poétique et moderne à l’image du contenu. L’intérieur du livre est à la hauteur de la couverture et reliure puisque les 384 pages sont en papier Munken pure de 90 g… Ce qui ne vous dit certainement rien mais assure un aspect et toucher velouté bien appréciable.

Anne de Green Gables Anne de Avonlea de Lucy Maud Montgomery éditions monsieur toussaint louverture

Devant la qualité des finitions, j’ai été assez étonnée du prix car il ne coute que 16,50 €. C’est incroyable ! Alors merci merci Monsieur Louverture pour la bonne idée de rééditer cette série et pour le soin que vous y avez accordé. Merci pour ce plaisir infini de lecture qui va durer puisque la série de Anne compte 11 volumes. Si vous ne faites pas encore partie des 60 millions de lecteurs de cette œuvre, traduite dans plus de trente langues, laissez-vous tenter !

Anne de Green Gables / Anne de Avonlea, de Lucy Maud Montgomery, Éditions Monsieur Toussaint Louverture, 16,50 € le volume.

Moi, ce que j’aime, c’est les monstres, d’Emil Ferris

Bijou graphique et littéraire

Dans mes lectures, j’aime être bouleversée, bousculée, intriguée, fascinée, inspirée. Et le livre que je vous recommande aujourd’hui a produit tous ces sentiments ! Il s’agit de Moi, ce que j’aime, c’est les monstres, un roman graphique d’Emil Ferris publié chez Monsieur Toussaint Louverture. Je n’ai pas été la seule séduite par ce bijou littéraire et artistique. Emil Ferris vient d’obtenir le Fauve d’Or au Festival International de bande dessinée d’Angoulême cette année. Après avoir remporté trois Eisner Awards, récompenses BD aux États-Unis, ainsi que le prix ACBD (Association des critiques et journalistes de bande dessinée) en France en 2018. Un coup de maître pour le premier livre de cette américaine de 56 ans !

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Chicago dans les années 60

Moi, ce que j’aime, c’est les monstres nous emporte à Chicago, à la fin des années 60 dans le monde de Karen Reyes, une petite fille de dix ans qui comme le titre l’indique adore les monstres, fantômes, vampires et morts-vivants. Pour survivre dans l’Amérique de cette période, elle s’imagine même être un loup-garou. Plus facile que d’être dans la peau d’une petite fille. Lorsque sa voisine se suicide d’une balle en plein cœur, Karen n’y croit pas et décide de mener l’enquête. Entre l’Allemagne nazie du passé de la voisine, son quartier prêt à éclater et les propres secrets de sa famille, elle rencontre des monstres, enfin des êtres humains comme les autres, c’est à dire des hommes et des femmes torturés, pétris de contradictions et de sentiments négatifs.

Journal intime

Les 416 pages couleurs du livre représentent donc le journal intime de la petite fille. Plus de 400 pages de réflexions, d’analyse et de sentiments sur le monde qui l’entoure et sur la manière dont elle l’appréhende. Ces réflexions et émotions sont retranscrites avec des textes assez forts, utilisant le langage d’une petite fille de 10 ans mûre et sans tabou. Mais également en dessins, pleines pages couleurs des scènes de la vie ou de son esprit, croquis des êtres qui l’habitent ou qui évoluent dans son quotidien. Pour mieux comprendre et accepter la réalité, Karen la retranscrit en mots et en dessins telle qu’elle la perçoit dans son esprit. Et le résultat est tout simplement fascinant, bouleversant.

J’ai acheté ce livre à l’automne 2018 et je ne le chronique que plusieurs mois après car j’ai savouré chaque page. Chaque détail d’un dessin riche et foisonnant. J’ai répété chaque mot de son esprit en ébullition permanente. Avec ses yeux, ses mains, son esprit d’enfant, la petite Karen a ouvert en moi la brèche de ma perception du monde. Tel que je le vois et comment je peux le supporter.

Extrait de Moi ce que j'aime c'est les monstres, BD d'emil Ferris aux éditions Monsieur Toussaint Louverture

Roman graphique protéiforme

Moi, Ce que j’aime, c’est les monstres est un un vrai roman : à la fois une enquête, un drame familial, une fiction historique. Mais surtout avec son histoire, Emil Ferris révèle le monstre qui vit dans chaque être opprimé, oublié, écrasé et quelle direction chacun de nous peut lui donner. Livre d’une mineure pour les minorités, pour les femmes ou tout être brimé, il représente un souffle de liberté, une clef pour exister. Les monstres ne sont finalement pas ceux que l’on croit.

La force du récit s’appuie évidemment sur les dessins. Chaque page, chaque dessin représente une œuvre d’art à part entière. Tous les dessins ont été réalisés au stylo bille. Avec des traits déterminés et déterminants. Des coups de stylo posés comme une urgence. Il y a du Crumb, il y a du Sendak dans le trait et l’univers graphique d’Emil Ferris. Mais surtout il y a du Emil Ferris. Un style inimitable et tout simplement subjuguant.

Extrait de Moi ce que j'aime c'est les monstres, BD d'emil Ferris aux éditions Monsieur Toussaint Louverture, Fauve d'Or à Angoulême.

Refusé par plus de 40 éditeurs…

L’impact de cette œuvre s’explique par le génie de son auteur mais aussi par l’histoire de sa création. En 2002, Emil Ferris, mère célibataire et illustratrice, gagne sa vie en dessinant des jouets et en participant à la production de films d’animations. Lors de la fête de son quarantième anniversaire, elle se fait piquer par un moustique et ne reprend connaissance que trois semaines plus tard à l’hôpital. Suite à une méningo-encéphalite, l’une des formes les plus graves du syndrome du Nil occidental. Les médecins lui annoncent qu’elle ne pourra sans doute plus jamais marcher. Pire encore, sa main droite, ne peut plus tenir un stylo…

Sans avenir, installé chez sa mère, Emil Ferris décide de se battre encouragée par sa mère, sa fille et des femmes qui s’occupent de ses soins. Elle recommence le dessin en attachant un stylo à sa main. Puis s’inscrit au Chicago Art Institute, dont elle sortira, diplômée. C’est à cette époque qu’elle commence l’écriture de son roman graphique dont l’idée est bien plus ancienne. Elle mettra six ans à réaliser cette œuvre de 800 pages. Après 48 refus, l’éditeur indépendant Fantagraphics accepte le manuscrit. Le premier tome de Moi, Ce que j’aime, c’est les monstres paraît aux États-Unis en février 2017. Et c’est le succès.

Critiques dithyrambiques méritées

« Emil Ferris est une des plus grandes artistes de bande dessinée de notre temps. » — Art Spiegelman, le pape du roman graphique notamment auteur de la fabuleuse série Maus.

« Une des œuvres les plus profondes, ambitieuses et abouties parues ces dix dernières années, tous supports confondus. Rarement des mots et des images ont fonctionné ensemble de manière aussi fluide au sein d’une histoire de cette complexité. » — Forbes

Cher Monsieur Toussaint Louverture

La version française est éditée par le fabuleux Monsieur Toussaint Louverture, structure éditoriale indépendante fondée en 2014 par Dominique Bordes. À l ‘instar de ce titre, Monsieur Toussaint Louverture s’intéresse aux textes oubliés ou méconnus de littérature étrangère. Par exemple, Le dernier stade de la soif et À l’épreuve de la faim de Frederick Exley ou Enig Marcheur de Russell Hoban.
Preuve de l’originalité et de la qualité des textes, les choix éditoriaux de Dominique Bordes rencontre un public large. Surtout pour une maison d’édition indépendante. Le linguiste était presque parfait, de David Carkeet, a été vendu à plus de 15 000 exemplaires. Karoo sorti en 2012 et maintes fois réimprimé, atteint près de 50 000 exemplaires. Publié en 2013, Et quelquefois j’ai comme une grande idée, de Ken Kesey, l’auteur de Vol au dessus d’un nid de coucou, a lui aussi touché des milliers de lecteurs. Plus de 30 000 en 2015 selon les derniers chiffres trouvés.

Des livres différents et beaux

Monsieur Toussaint Louverture publie peu, seulement 3 ou 4 ouvrages par an. Et seulement 3 BD depuis ses débuts ! Mais des livres différents qui trouvent à chaque fois leur public. Des livres denses qui font la part belle aux perdants et nous font sentir moins seuls. Des livres-objet beaux qui donnent envie de les posséder avant même de les lire (j’ai précommandé chez ma libraire préférée Ce que cela coûte, de W.C. Heinz à paraître début février sans même connaitre le sujet…). Format, typo, papier, grammage, rabat, couverture, rien n’est laissé au hasard. C’est encore le cas avec le livre premier de Moi ce que j’aime c’est les monstres. Déjà réédité plusieurs fois, sélectionné parmi les « 100 livres de l’année » du magazine Lire. Distingué par de nombreux prix. Merci Monsieur Toussaint Louverture. Vivement le livre second !

Je précise que vous pouvez devenir l’heureux propriétaire de cette œuvre d’art pour la modique somme de 34,90 € ! Et je vais finir par saluer le travail de Jean-Charles Khalifa, le traducteur ainsi que le lettrage à la main de Amandine Boucher et Emmanuel Justo .

Moi, Ce que j’aime, c’est les monstres, d’Emil Ferris, Éditions Monsieur Toussant Louverture, 34,90 €.